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14/03/2024: Les logiciels électoraux de 2024


L’informatique dans les élections a une longue histoire qui commence bien avant le vote électronique.
Faisons ensemble un petit retour dans l’Histoire et regardons quels sont les logiciels prévus pour les élections de 2024 en Belgique.

Attention, la première partie de cet article se base sur des témoignages non sourcés d’acteurs des élections rencontrés au cours de plus de 25 ans de lutte contre le vote électronique en Belgique.
Ceci n’est ni un travail journalistique, ni une démarche historique... c’est juste une accumulation d’anecdotes et de réflexions sur un sujet bien plus vaste qui mériterait d’être étudié avec plus de rigueur.

Partie 1 : Petites histoires entendues sur les débuts de l’utilisation de l’informatique

Historiquement, c’est dans la "tabulation", ou le comptage des votes que l’informatique a commencé à s’immiscer dans les élections.
Additionner les résultats intermédiaires venant de différents bureaux de dépouillement et calculer le nombre d’élus de chaque liste, l’effet dévolutif de la case de tête et quel candidat de chaque liste est élu.
Évidemment tous ces calculs peuvent se faire à la main, mais c’est fastidieux. Sans aucun doute des calculatrices ont du être utilisées, et il y a bien quelqu’un quelque part qui a décidé d’utiliser un ordinateur et un programme... ou un simple tableur.

Cette informatique-là n’est pas très visible, n’a pas eu beaucoup de publicité... mais pourtant un sérieux bug dans les résultats des élections s’est produit à cause de cette utilisation.
Le problème est apparu le 5 avril 1992, en Allemagne lors de l’élection du Parlement du Land de Schleswig-Holstein.
Tout parti n’ayant pas obtenu un minimum de 5 % des votes se retrouve sans aucun siège au Parlement. Cette nuit là, les résultats annoncés pour le Parti écologiste (Die Grünen) était exactement 5 % des votes.
Sauf que l’affichage de ce résultat était faux, et après la publication des résultats, quelqu’un a détecté qu’il n’avait en fait que 4,97 % des voix et donc droit à aucun siège.
Le programme n’affichait qu’une décimale et avait arrondi l’affichage à 5 %. Plus de détails en anglais

Mais en Belgique, c’est pour les estimations des résultats lors de la nuit des élections que l’informatique était utilisée depuis sans doute de longues années avant le vote électronique.
De mémoire de témoin, c’est la société IBM qui produisait les logiciels, fournissait des résultats et estimations, présentait des chiffres ou peut-être des graphiques.
À cette époque, les médias (et les partis politiques) avides de résultats avant la fin de la nuit, organisaient des sondages sortie des urnes (les plus fiables) et avec une bonne connaissance socio-politique et des statistiques, on peut estimer des résultats souvent proches des résultats officiels du décompte final.
En mélangeant les sondages, et les résultats fournis par le SPF Intérieur, les analystes politiques et et journalistes pouvaient présenter la situation et orienter les questions aux politiciens qui venaient sur les plateaux.
Certains partis politiques bien organisés semblaient avoir des résultats plus précis que les journalistes, ils pouvaient répondre aux analystes que la nuit n’était pas finie et que les premiers résultats annoncés étaient trompeurs.
C’est en utilisant intelligemment leur réseau de témoins de parti qui remontaient les résultats à la fin des dépouillements locaux que les partis pouvaient surveiller les résultats.
Même si proclamer des résultats provisoires lors de la soirée électorale ne semble pas dangereux pour la démocratie, ceux-ci peuvent donner une impression sur les véritables gagnants de l’élection et influencer les négociations, voir certaines alliances décidées dans la nuit.

À l’époque, les résultats fiables et intéressants étaient dans les médias, les politiciens se déplaçaient pour la soirée électorale. Le centre de l’attention était les médias et le ministère de l’Intérieur, véritable acteur, restait dans l’ombre.
On raconte que l’arrivée du vote électronique était une volonté de ramener le centre de gravité vers le ministère de l’Intérieur.
Progressivement, avec l’obtention des résultats du vote électronique et la transmission électronique des résultats entre les bureaux et le ministère de l’Intérieur, celui-ci devenait une source plus précise et rapide que les médias.
Là où les partis avaient leur propre réseau et les médias faisaient leurs propres sondages, tous ses acteurs ont commencé à se connecter au réseau de distribution d’information du ministère de l’Intérieur.
On comprendra le danger que cela peut comporter lorsque les témoins de partis ne collectent plus les résultats et qu’aucun sondage sortie des urnes n’est plus effectué.
Lorsque des missions internationales d’observation des élections sont déployées, les sondages sortie des urnes sont un bon moyen de détecter des fraudes et des résultats officiels douteux... mais en Belgique, qui surveille encore ?

Une autre anecdote au sujet du vote électronique en Belgique est que pour les premiers prototypes de vote électronique testé dans deux communes en 1991, le ministère de l’Intérieur espérait qu’IBM réponde à l’appel d’offre.
Mais IBM malgré sa position importante à l’époque dans le monde de l’informatique et son implication dans la nuit des élections, n’a pas désiré participer.
On peut supposer que ses dirigeants étaient réticents à l’utilisation de l’informatique pour cette partie-là des élections...

En combinant le vote électronique et la transmission électronique des résultats venant des bureaux de dépouillement (ou de totalisation), au cours des années, le traitement des résultats provisoires s’est accéléré et perfectionné.
Mais tout ceci, on le sait, n’est pas sans risque. On va plus vite, mais est-ce que c’est plus fiable... en tout cas, il y a eu des problèmes, des bugs... et on l’espère qu’il n’y a pas eu de fraude.

Partie 2 : Les logiciels utilisés en 2024

SMARTMATIC

Ceci est le nom de la société qui fournit les machines à voter et les urnes utilisées dans la région Bruxelles-Capitales, dans une majorité de communes et dans les communes de la Communauté germanophone.
On appellera par ce nom les logiciels qui tournent dans ces ordinateurs déguisés en machines de vote ou en urnes électroniques.

Des articles sur SMARTMATIC

PATSY

Là où le vote électronique n’est pas utilisé, il y a la possibilité, surtout pratiquée en Wallonie de faire un dépouillement assisté par ordinateur.
Historiquement le logiciel utilisé sur une paire d’ordinateur connectés et possédant un écran tactile s’appelait DEPASS, mais en 2024 ce logiciel porte le nouveau nom de PATSY sans avoir vraiment changé.
C’est juste le résultat d’un appel d’offre fait par la région Wallonne et le Fédéral. Ce nouveau nom vient de l’anglais... peut-être pour mieux se vendre en Flandre ?

Voir aussi PATSY le nouveau nom du dépouillement assisté par ordinateur et d’autres articles sur PATSY

MARTINE

Ce logiciel n’est pas nouveau et n’a pas changé de nom, c’est un logiciel de gestion des informations pour l’organisation d’une élection.
La partie qui intéresse le plus PourEVA est la transmission des résultats venant soit de SMARTMATIC, soit de PATSY, soit de dépouillements traditionnels sans ordinateur.
MARTINE remplit certainement aussi d’autres fonctions...
On peut penser en amont à l’encodage des listes et de tous les candidats qui peuvent être nombreux pour des élections locales.
Et pour l’aval, il y a sans doute la totalisation des résultats et leur publication ou transmission.

Voir aussi Martine aux élections 2024 et d’autres articles sur MARTINES

ROMEO

Ce logiciel est le petit nouveau de la bande, un logiciel pour pouvoir encoder et vérifier les dépenses électorales des partis et candidats.
À notre connaissance c’est une nouveauté de 2024.

AUTRES

Dans certains bureau de vote, le registre des électeurs (émargement) qui sert à vérifier qui a déjà voté et qui n’a pas voté (et risque théoriquement une amende) n’est plus papier mais électronique, peut-être en lisant la carte d’identité électronique.
Nous ne connaissons pas le nom de ce ou ces logiciels, ni où et quand ils sont utilisés.
Une chose semble néanmoins certaine, c’est qu’un tel logiciel sera utilisé pendant les élections communales en région Bruxelles-Capitale en raison de la possibilité d’aller voter dans n’importe quel bureau de sa commune.

On peut imaginer que certains présidents de bureau de vote utilisent un tableur pour noter les résultats des dépouillements... certains ayant développé cela eux-mêmes.

CONCLUSION

On le voit, l’informatique est maintenant présente à tous les étages et dans toutes les dimensions de l’organisation d’une élection.
Certains de ses usages peuvent sembler anodins et sans danger, mais parfois leur combinaison ou les effets sur le comportement des partis politiques peut les rendre dangereux.
Si PourEVA est connu pour son combat contre le vote électronique dans les bureaux de vote, nous sommes les témoins attentifs des autres usages et nous réfléchissons à leur potentiels dangers.

Les organisateurs des élections semblent s’intéresser à la rapidité des résultats, aux économies (promises mais pas toujours constatées), à la facilité, ou à se décharger de certaines responsabilités sur les sociétés informatiques...
Nous devons aussi nous intéresser à la transparence du fonctionnement des élections et à la protection contre les tentatives de fraude, y compris celles pouvant venir du Ministère de l’Intérieur ou de fournisseurs.
La protection des élections ne peut se faire qu’au prix d’une réflexion sur l’éthique de l’utilisation de l’informatique pour l’organisation des élections.