21/05/2024: Élections du 9 juin 2024 en Belgique : des procédures électorales incontrôlables
En Belgique, lors des élections de ce 9 juin, la majorité des électeurs sera à nouveau soumise à des procédures électorales automatisées ne permettant aucun contrôle des opérations de vote et de totalisation de ceux-ci par les électeurs eux-mêmes.
De plus, malgré la condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme en juillet 2020 du système belge de validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes, ce procédé où ceux-ci sont juges et parties continuera à être utilisé.
Cela n’est pas digne d’une démocratie.
Rappel historique
En Belgique, à partir de 1991, différents types de vote électronique ont été utilisés. Depuis lors, des défaillances de ces systèmes ont été constatées lors de CHAQUE élection. Depuis 1999, elles ont été recensées dans les rapports des collèges d’experts désignés par les différents parlements. Ce qui prouve la faillibilité de ces systèmes.
Le « bug » des élections du 25 mai 2014 fut particulièrement grave puisque, dans les communes bruxelloises où étaient utilisées des machines à voter sans trace papier, il a fallu attendre trois jours pour que des résultats soient proclamés et les autorités responsables ont finalement été obligées d’avouer que 2.250 votes n’ont pas pu être pris en compte dans le calcul des résultats ; nombre qui n’a pu être vérifié par aucun témoin des listes de candidats. Ce spectaculaire dysfonctionnement a eu pour conséquence le retour au vote « papier », en Wallonie uniquement, à partir des élections communales d’octobre 2018.
Ce ne fut pas le cas à Bruxelles, en Flandre et dans les communes germanophones. Le vote y est resté automatisé mais une imprimante a été ajoutée à chaque ordinateurs de vote. Celle-ci délivre des tickets dénommés dans la loi « preuves papier ».
Ce 9 juin 2024 ce sera à nouveau le cas dans toute la Région de Bruxelles, dans les 9 communes germanophones et dans 159 communes flamandes sur 300.
L’argument le plus souvent avancé par les autorités politiques de la Région de Bruxelles pour justifier la décision de persévérer dans l’automatisation des opérations électorales est que, vu le nombre de listes et de candidats particulièrement élevé dans la capitale, un retour au vote papier aurait nécessité des bulletins de vote de trop grande taille. Cet argument n’a pourtant pas empêché les autorités d’une autre grande ville, à savoir Liège, où l’on votait précédemment électroniquement, de revenir au vote papier. Ce retour au vote papier est en réalité parfaitement possible à Bruxelles (cf. Le vote papier est-il possible à Bruxelles ?).
Du papier… pour faire illusion
Le coûteux système de vote avec ticket n’offre pourtant pas la transparence qui s’impose dans une démocratie digne de ce nom. Car si l’électeur est en mesure de lire le texte imprimé sur le ticket que lui fournira la machine à voter, c’est le code QR, présent sur le même ticket mais illisible pour lui, qui sera « lu » par l’« urne électronique » comptabilisant les votes. De plus, la loi « organisant le vote électronique avec preuve papier » du 07/02/2014, dans sa version « consolidée » du 14/04/2023, ne prévoit aucun comptage des tickets (cf. Loi du 07-02-2014 organisant le vote électronique avec preuve papier).
Ainsi, l’ajout de « tickets » au système de vote électronique n’est qu’un leurre pour mettre les électeurs « en confiance », sans pourtant leur donner la moindre possibilité de contrôler réellement les opérations électorales. Contrairement à ce qui se passe pour le scrutin « papier » (voir plus loin), la loi encadrant ce système ne donne aucun moyen aux témoins des partis présentant des candidats de vérifier les résultats des élections. Car une fois les votes terminés, les « supports de mémoire » sur lesquels ont en principe été enregistrés tous les votes sont retirés de l’« urne-ordinateur » et placés dans une enveloppe scellée qui sera remise par le président du bureau de vote au président du bureau principal du canton électoral. La totalisation des votes se fera de manière électronique.
De notre point de vue, un tel système de vote électronique avec trace papier ne pourrait être acceptable au regard des critères d’une élection démocratique que si la prise en compte, l’interprétation, la comptabilisation et la totalisation des votes étaient placés sous le contrôle effectif des citoyens-électeurs et non, dans les faits, sous celui des seuls techniciens, qu’ils appartiennent à des sociétés privées ou qu’il s’agisse de fonctionnaires.
Ce contrôle citoyen pourrait prendre la forme d’un comptage manuel effectué, comme pour les scrutins « papier », par des citoyens-électeurs désignés par les juges de paix (ou mieux, tirés au sort) et sous la surveillance de témoins des partis présentant des listes de candidats. Ce comptage devrait concerner tous les tickets générés par les ordinateurs de vote dans un nombre significatif (au moins 10 %) de bureaux de vote, déterminés aléatoirement à l’issue du scrutin. S’il était constaté une différence entre le comptage manuel et la comptabilisation automatique, c’est la comptabilisation manuelle qui devrait prévaloir. La loi devrait également prévoir le décompte manuel dans tous les bureaux de vote où aura été utilisé le système automatisé au cas où des différences entre comptages manuels et totalisations automatiques étaient constatées dans un nombre important de bureaux (par exemple plus de 10 % des bureaux soumis à ce contrôle citoyen). Si la loi prévoyait tout cela, la condition fondamentale d’une élection démocratique, à savoir le contrôle effectif des opérations électorales par les citoyens-électeurs, serait rencontrée. Notons tout de même que, d’un point de vue pratique, ce contrôle citoyen du résultat des élections ne pourra être réalisé efficacement avec les tickets tels qu’ils sont conçus actuellement car ils sont difficilement manipulables.
Reste à savoir l’intérêt qu’il y aurait encore, dans ce cas, à dépenser tant d’argent public pour « faire moderne ».
Au sein de l’Union européenne , la Belgique reste la « championne » du vote électronique
Dans 22 des 27 États de l’Union, le vote est aujourd’hui manuel (« papier ») à 100 %.
La Belgique est le seul État de l’UE où une majorité d’électeurs ont l’obligation de voter électroniquement.
En Italie, depuis 2017, le vote électronique est utilisé dans la province de Lombardie. Il concerne environ 7,8 millions d’électeurs (l’Italie compte environ 61 millions d’habitants).
En France, en 2008, le Ministère de l’Intérieur a interdit d’encore investir dans les machines à voter et parmi la petite minorité de villes qui s’en étaient équipées (moins de 3 % des électeurs étaient concernés), plusieurs ont depuis renoncé à les utiliser. Aujourd’hui, sur environ 50 millions d’électeurs, seuls 1,2 millions votent électroniquement. Mais, depuis 2011, les Français de l’étranger ont la possibilité de voter par Internet. Ce qui empêche tout contrôle du secret du vote, puisque rien ne garantit que l’électeur soit seul au moment d’effectuer son choix.
Au Portugal, on ne vote électroniquement que dans cinquante bureaux.
D’un point de vue démocratique, le cas - très particulier - de l’Estonie est le plus inquiétant : c’est le seul État de l’Union où, depuis 2007, tous les électeurs ont la possibilité de voter à distance, par Internet. En 2022, plus de la moitié des électeurs ont choisi ce mode de vote. Mais ce n’est pas une obligation. La manière traditionnelle de voter reste possible pour tous les électeurs.
Dans tous les autres États de l’Union le vote électronique n’a jamais été utilisé ou a été abandonné. C’est ainsi que :
aux Pays-Bas, pays où le vote électronique a été utilisé de 1994 à 2008 et a concerné jusqu’à 90 % des électeurs, il a depuis été complètement abandonné après qu’il a été constaté que les machines de vote pouvaient facilement être piratées ;
en Irlande, après quelques années d’expérimentation et malgré l’opposition d’un nombre grandissant de citoyens et de parlementaires, le gouvernement avait dépensé 52 millions d’euros pour généraliser l’usage du vote électronique en vue des élections de 2004. Mais suite à une levée de boucliers de l’opposition parlementaire et à deux rapports accablants de la « Commission on Electronic Voting » (formée à l’initiative du Parlement), ces machines n’ont jamais été utilisées ;
en Allemagne, en 2009, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel ce système de scrutin imposé à près de 5 % d’électeurs car il ne permettait pas le contrôle des opérations électorales par les électeurs ;
le Royaume-Uni (en 2007) et la Finlande (en 2009) ont renoncé au vote électronique après des essais jugés non concluants.
Les avantages du vote papier
Contrairement aux systèmes automatisés, le vote papier, par ailleurs beaucoup moins coûteux que le vote électronique, est régi par un imposant code électoral qui organise le contrôle effectif par des citoyens « lambda » de l’ensemble des opérations électorales, de la constitution des listes de candidats à la totalisation des votes, autrement dit la transparence des scrutins, condition fondamentale d’une élection digne d’une démocratie. Avec ce système :
• chaque électeur est en mesure de vérifier que son bulletin de vote contient uniquement l’expression de son vote ;
• le président et les assesseurs du bureau de vote (désignés par le juge de paix du canton électoral) ainsi que les témoins de liste sont en mesure de vérifier que chaque électeur ne vote qu’une fois par élection ;
• au moment de la clôture des votes, les urnes sont scellées en présence du président et des assesseurs du bureau de vote ainsi que les témoins de liste ;
• elles sont transportées, sous scellées, vers le bureau de dépouillement ;
• elles sont descellées par le président et les assesseurs du bureau de dépouillement, en présence de témoins de liste ;
• le comptage et la totalisation s’effectuent par et sous la responsabilité des présidents et assesseurs du bureau de dépouillement en présence de témoins de liste. [1]
• les témoins de liste ont la possibilité d’effectuer eux-mêmes la totalisation des résultats en collationnant les résultats partiels obtenus dans chaque bureau de dépouillement.
L’encodage virtuel de ces résultats partiels n’intervient qu’ensuite au bureau principal du canton.
Un acharnement incompréhensible
L’obstination des autorités fédérales ainsi que de celles des Régions flamande, bruxelloise et de la Communauté germanophone dans la voie de l’automatisation des opérations électorales est difficilement compréhensible. Aucun des arguments invoqués à l’origine (en 1991) pour justifier la décision de remplacer le vote « papier » par le vote « électronique » n’a tenu la route :
• l’automatisation ne coûte pas moins cher que le système « papier », bien au contraire ;
• les résultats ne sont communiqués (un peu) plus rapidement que quand il n’y a pas d’incident… mais des problèmes entraînant des retards dans la communication des résultats se sont posés lors de CHAQUE élection où des systèmes électroniques ont été utilisés ;
• ces nombreux problèmes ont largement démontré la non-fiabilité de ces systèmes automatisés.
Le seul « argument » qui n’a pas été complètement infirmé par les faits est que l’automatisation a permis de réduire le nombre des assesseurs nécessaires pour assurer l’organisation et le contrôle des opérations électorales. C’est en effet le cas puisqu’en l’absence de dépouillement des votes, on n’a évidemment plus besoin d’assesseurs pour l’effectuer. Mais est-ce vraiment un avantage ? Une démocratie représentative n’a-t-elle pas intérêt au contraire, dans un souci de pédagogie citoyenne, à faire des jours d’élections des moments de grande mobilisation populaire, de célébration active de ce moment rare où s’exerce la souveraineté populaire ? Et est-ce un bien pour la démocratie que la comptabilisation des votes émis par les citoyens-électeurs ne soit plus effectuée sous leur contrôle ?
Alors à qui profite cette coûteuse obstination technocratique ?
Validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes [2]
Parmi les quarante-six États membres du Conseil de l’Europe, seuls trois d’entre eux - l’Italie, le Luxembourg et la Belgique - persistent à ce jour à maintenir la validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes, sans recours possible. Ils sont donc « juges et parties ». Pour ce qui concerne la Belgique, c’est un élément de plus qui porte atteinte au caractère démocratique de l’organisation des élections.
Ce dysfonctionnement concerne non seulement le Parlement fédéral mais aussi les parlements régionaux et de communauté ainsi que les parlements provinciaux de Wallonie, en vertu de l’article 48 de la Constitution, inchangé depuis 1831, et dont l’application a, depuis, été étendue aux entités fédérées. Selon cet article, ces parlements ont, seuls, le pouvoir de contester le résultat d’une élection et d’ordonner éventuellement que celle-ci soit refaite. On ne s’étonnera pas que cela ne soit jamais arrivé : pourquoi les élus remettraient-ils en question leur propre élection ? C’est ainsi, par exemple, qu’ils ne se sont pas gênés pour valider le résultat des élections du 25 mai 2014 malgré le fait que, selon le Collège des experts, 2.250 votes n’avaient pas été pris en compte. Selon le Conseil d’État et conformément aux standards internationaux, une irrégularité qui pourrait aboutir à une modification de la répartition des sièges doit entraîner l’annulation de l’élection. Or le collège des experts avait établi que c’était bien le cas dans deux assemblées : le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement régional bruxellois. Dans le premier, un siège aurait pu être attribué à un autre parti ; dans le second c’est la répartition des sièges entre des candidats d’une même liste qui aurait pu être différente. Ces deux parlements ont pourtant valider ces élections.
Cette procédure non démocratique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en juillet 2020. La Belgique est donc tenue d’y remédier.
Concernant le Parlement fédéral, cela suppose une modification de la Constitution qui n’a pas encore eu lieu et ne sera possible que sous la prochaine législature. [3]
Concernant les entités fédérées concernées (parlements régionaux et de communauté ainsi que les parlements provinciaux de Wallonie), modifier la Constitution n’est pas indispensable car c’est par une loi spéciale que la règle figurant dans l’article 48 de la Constitution a été étendue aux parlements régionaux et par une loi ordinaire qu’elle l’a été au Parlement de la Communauté germanophone. Les parlements concernés actuels auraient donc pu modifier ces lois avant les élections de 2024. Ce qu’ils n’ont pas fait.
Le caractère démocratique des élections du 9 juin sera donc à nouveau entaché non seulement par le maintien, dans une grande partie du pays, de l’utilisation de systèmes de votes automatisés non contrôlables par les électeurs, mais également par la persistance, dans tout le pays, de la validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes.
[1] Dans 145 communes où on utilisera le vote papier, un système de dépouillement assisté par ordinateur sera utilisé (Utilisation du système d’aide au dépouillement PATSY). Il reste sous le contrôle des membres des bureaux de dépouillement et des témoins de listes.
[2] L’objet de ce paragraphe est développé ici : Validation du résultat des élections en Belgique : il faut modifier d’urgence la Constitution.
[3] Ce sera désormais possible car le Parlement sortant vient, enfin, de déclarer révisable l’article 48 de la Constitution.