Refus de voter par le truchement du vote automatisé (2004)
Lettre recommandée à la présidente du bureau principal du canton électoral d’Ixelles
Voici le texte d’une lettre recommandée qu’un électeur vient d’envoyer à la présidente du bureau principal de son canton électoral, en réponse à sa convocation électorale. Il y annonce que le 13 juin, jour des élections, il se rendra dans le bureau électoral qui lui a été assigné et, après qu’il aura constaté qu’on lui demande à nouveau d’utiliser un système de vote inaccessible à tout contrôle des citoyens-électeurs, il protestera contre ce système en refusant de voter de cette manière.
Madame,
J’ai reçu, il y a peu, ma convocation électorale. Pour la quatrième fois, je suis mis dans l’obligation d’exercer mon devoir d’électeur au moyen d’un système de vote automatisé. Ce système prive les électeurs de toute possibilité de contrôle des opérations électorales : il leur est impossible de lire ce qui se trouve sur la carte magnétique qui leur est remise, ni avant ni après le vote et ils ne peuvent savoir ce qui s’y trouvera indiqué après son passage dans l’urne électronique. Il n’y a plus de dépouillement ; ce sont des machines qui décodent les disquettes provenant des urnes électroniques.
Le législateur a confié la tâche de vérifier le bon fonctionnement des élections aux présidents des bureaux de vote, aux assesseurs et aux témoins des partis. Depuis l’introduction du vote électronique, aucune de ces personnes n’est en mesure d’affirmer que tout s’est déroulé correctement, car ce sont des machines qui opèrent, non pas sous leur contrôle mais sous celui d’experts en informatique : si une machine tombe en panne, le président du bureau de vote fait appel à un technicien d’une firme privée désignée à cet effet. Qui peut affirmer qu’aucun vote ou décompte n’est perdu ou modifié lors de cette intervention ?
Le législateur a bien décidé que neuf experts au plus, désignés par les diverses assemblées parlementaires du pays, surveilleraient l’ensemble des opérations électroniques avant et pendant les élections. Mais dans leur rapport concernant les élections de juin 1999, ces experts constataient que, dans la pratique, seuls les techniciens des sociétés qui avaient installé les systèmes étaient en mesure de les contrôler efficacement [1] , constatation qu’ils réitéraient dans leur rapport concernant les élections communales d’octobre 2000 [2].
La Belgique et les Pays-Bas restent, à ce jour, les seuls Etats européens à avoir introduit de tels systèmes incontrôlables par les citoyens-électeurs. En Irlande, par contre, après avoir investi une somme considérable pour automatiser le scrutin du 13 juin en Irlande, le gouvernement a dû récemment faire marche arrière suite à une intense campagne de l’opposition parlementaire.
Lors des élections fédérales, régionales et européennes de juin 1999 et lors des élections communales d’octobre 2000, j’ai rempli mon devoir électoral, comme je l’avais toujours fait auparavant (en votant et en remplissant à de multiples reprises une fonction d’assesseur au dépouillement), tout en remettant une lettre de protestation au président de mon bureau de vote. Depuis 1999, le combat que je mène, avec d’autres citoyens, contre ce déni de démocratie qu’engendre le vote automatisé tel qu’il est actuellement pratiqué en Belgique a pris diverses autres formes : pétitions, actions en justice, conférences, articles dans la presse, rédaction d’une « Lettre ouverte aux membres du Parlement Fédéral de Belgique » (elle est jointe à la présente lettre), etc.
Comme je vous l’avais annoncé par ma lettre recommandée du 11 mai 2003, le 18 mai, jour des élections législatives, j’ai pris, pour la première fois de ma vie, la décision grave de refuser de voter. Le jour des élections, je me suis rendu dans le bureau électoral où j’étais sensé remplir mon devoir d’électeur ; j’ai manifesté mon refus de voter à la Présidente du bureau de vote et je lui ai remis une copie de la lettre que je vous avais adressée, en la priant de l’annexer au procès verbal des opérations électorales qu’elle avait la charge de rédiger.
Cette action de protestation reçut un écho médiatique. Mais, un an plus tard, la situation en la matière n’a pas changé [3]. 44 % des électeurs (100% dans la région de Bruxelles-Capitale) vont à nouveau être obligés de voter électroniquement.
C’est pourquoi, cohérent avec moi-même, et plus que jamais soucieux de la pérennité de notre démocratie représentative, dont les élections constituent, à mes yeux, la pierre angulaire, je prends aujourd’hui à nouveau la décision de marquer mon opposition résolue au vote électronique tel qu’il est pratiqué en Belgique en refusant de voter. Le 13 juin, bien qu’il m’en coûte, je réitérerai mon geste de protestation de l’an dernier en me rendant dans le bureau électoral où je suis censé voter pour y remettre copie de la présente lettre au Président du bureau de vote. Je protesterai ainsi contre un système électoral qui n’est plus sous le contrôle des électeurs. Je marquerai aussi, de cette manière, mon attachement à notre démocratie représentative et mon refus d’une procédure électorale qui banalise le moment du choix de nos représentants politiques en déresponsabilisant les citoyens.
Je me réserve en outre le droit de rendre publique cette démarche à caractère protestataire.
Je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l’expression de mes meilleurs sentiments.
Michel Staszewski
P.S. : je vous prie de trouver en annexe la Lettre ouverte aux membres du parlement fédéral de Belgique, dont je suis un des co-auteurs et qui présente une étude assez exhaustive de la question pour ce qui concerne notre pays.
[1] Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 13 juin, s.l., 25/06/99, pp. 58-59.
[2] Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 8 octobre 2000, Chambre des Représentants et Sénat de Belgique, 18/10/2000, pp. 62-63.
[3] Notons toutefois l’abandon de l’expérience de lecture optique des bulletins papiers (système pourtant jugé fiable par le collège des experts) alors que ce procédé n’empêche pas le contrôle des citoyens-électeurs.