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30/09/2025: Observateur des élections communales en région bruxelloise

"Mission impossible"


Le parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a modifié (ordonnance du 12 juillet 2018) le code électoral organisant le vote électronique avec preuve-papier pour les élections communales (qui sont de sa compétence). Celui-ci précise entre autres que des observateurs sont autorisés à suivre le déroulement du scrutin.
- Article 35 ter. […] Le Gouvernement peut habiliter des observateurs pour suivre toutes les opérations électorales. Les observateurs ont uniquement un rôle d’observation. Ils ne peuvent prendre part aux opérations du bureau de vote, ni aider aucun électeur. Ils doivent rester discrets et ne peuvent influencer le scrutin.
Les observateurs doivent être en possession d’une carte de légitimation délivrée par le Service public régional de Bruxelles.
En cas de tentative d’influencer le scrutin, le président du bureau peut, après un premier avertissement, faire expulser les observateurs du local de vote.

C’est incontestablement un progrès vers plus de transparence et PourEVA a décidé de saisir cette opportunité pour mieux suivre les opérations électorales, particulièrement quant au recomptage manuel prévu par l’ordonnance du 20 juillet 2016.

Obtenir l’habilitation

Dans un premier temps, nous nous sommes adressés à l’échevine compétente en matière d’élections d’une commune bruxelloise. Il nous a été répondu que nous pouvions “trouver toute l’information utile et nécessaire sur le site de la région bruxelloise : https://www.elections2018.brussels/”. Il ne se trouvait malheureusement aucune information pertinente sur ce site.

Nous nous sommes donc adressés plus directement au Service public régional par le biais du formulaire proposé sur son site. La Direction de la Communication du SPR nous a répondu : “Pour toutes informations concernant les élections communales, merci de consulter la page de l’Administration Bruxelles Pouvoirs Locaux (BPL) via le lien http://pouvoirs-locaux.brussels/fr/theme/elections?set_language=fr”. Il ne se trouvait à nouveau aucune information pertinente à cette adresse.

Nous avons donc décidé d’écrire directement à l’adresse du Ministre-président. Ce courrier a de nouveau été reçu par une Direction de la communication qui l’a transféré en interne. Sans réponse après six jours, nous avons relancé nos interlocuteurs qui ont répondu cette fois : “Pour toutes informations concernant les élections communales, vous pouvez également consulter le site web Elections2018.brussels via le lien suivant : https://elections2018.brussels/”. Nous régressions donc.

Suite à une réaction irritée de notre part, nous avons reçu une réponse du Cabinet du Ministre-président. Nous y avons promptement réagi en indiquant : “Nous sommes notamment intéressés à pouvoir observer l’avancée principale de la nouvelle ordonnance, soit le recomptage des preuves-papier d’urnes tirées au hasard”.

Des missions très restreintes

Nous avons alors enfin eu une réponse de la Direction des affaires générales et juridiques digne d’intérêt :

“Le cabinet du Ministre-Président nous transfère votre demande.
Nous allons dès lors proposer à la signature un arrêté ministériel qui vous habilitera à observer le recomptage manuel d’une urne de vote. Je note que votre demande vise uniquement les opérations d’un bureau principal. A cet égard, avez-vous une commune de prédilection ?
Pour le surplus, je vous informe que l’arrêté qui vous habilitera auprès du Président d’un bureau principal prévoira des restrictions. Ainsi, vous n’aurez aucun droit d’intervention et vous serez accompagné d’un fonctionnaire régional désigné à cet effet.
Par ailleurs, vous devrez porter un badge que nous allons vous confectionner. A cette fin, pouvez-vous nous envoyer une photo format carte d’identité ?"

On note que le service juridique a immédiatement restreint la portée de nos observations en les cantonnant au recomptage manuel d’une urne dans le bureau principal d’une commune à désigner (!) et en annonçant que nous serions accompagnés d’un fonctionnaire.

Forts de cette demi-victoire, nous avons entrepris d’obtenir l’habilitation d’une deuxième personne, mais suite à cette autre demande, le service juridique m’a écrit :
“J’en profite pour vous informer que nous avons reçu une demande de Monsieur B[…] qui se réclame du même collectif que vous. Il était un peu tard pour lui organiser un autre programme, d’autant qu’il n’a pas pu m’indiquer ses centres d’intérêts. J’ai donc proposé qu’il soit dans le même groupe que vous, en compagnie de Monsieur K[…] que je mets en copie. J’attends à cet égard une réponse, positive ou négative.
Je dois également regretter le manque de coordination de votre collectif. Si je peux comprendre l’intérêt qu’il (le collectif) montre à se rassurer au sujet des procédures électorales, il serait plus aisé en ce qui concerne notre organisation d’en regrouper les demandes.”

En demandant la présence de DEUX de nos observateurs pour une élection dans un territoire de plus d’un million d’habitants, nous avons donc noyé les services compétents.

Le 9 octobre j’ai été été informé qu’un arrêté ministériel a été pris m’habilitant comme observateur du “recomptage manuel d’une urne au bureau principal de Forest le 14 octobre 2018”. Nous étant référé à la loi, nous n’avions PAS parlé du recomptage manuel d’UNE urne, mais nous n’avons pas insisté, la Région étant déjà débordée par nos deux courriers.

Observation dans un bureau de vote

Suite à l’obtention de la deuxième autorisation, un autre membre de notre association a pu observer le déroulement du scrutin dans UN des bureaux de vote de la région, mais accompagné d’un fonctionnaire qui ne l’a pas lâché d’une semelle. (Rappel : ceci se passait en Belgique, pas en Corée du nord.)

Observation dans un bureau principal

LE fonctionnaire régional, libéré de sa mission d’accompagnement de notre observateur d’UN bureau de vote, m’attendait à l’entrée du bureau principal (de « dépouillement ») de Forest. Dans ce bureau principal, le fonctionnaire m’a désigné à l’attention du Président du bureau qui, sans que des présentations aient été faites, savait mon rôle ; il avait manifestement été prévenu de ma présence. Réception glaciale. Il est également apparu que se trouvait déjà dans le bureau un membre du Collège d’experts.

Profitant d’un temps mort dans l’attente de l’arrivée du contenu de la première urne, j’ai posé deux questions au Président : « Comment comptez-vous sélectionner la ou les urnes à recompter ? Combien d’urnes envisagez-vous de recompter ? »

Nous avions en effet consulté une statisticienne professionnelle afin de déterminer la taille de l’échantillon nécessaire pour obtenir un résultat fiable. Sur base d’hypothèses raisonnables, nous étions arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire de recompter six urnes. Le Président a répondu de manière désinvolte à nos deux questions « qu’on verrait bien avec les assesseurs ».
Avant de commencer les opérations, le Président a proposé aux trois assesseurs une méthode de désignation de l’urne à recompter : ce serait la première qui serait présentée après une certaine heure ; cette proposition, parfaitement valable, a été acceptée par les assesseurs.

Ma mission d’observation a pu se dérouler « normalement » mais pas sans que le Président ait chipoté quant à ma position dans le bureau puisque je souhaitais m’installer à un endroit d’où je pourrais… observer. Il a accepté ma demande de mauvaise grâce. En revanche, le membre du Collège d’experts, présent du début à la fin, a pu virevolter tout le temps dans le bureau, son rôle étant très varié, expliquant tantôt au Président la signification des gestes qu’il venait de poser, ou volant au secours du fonctionnaire communal un peu perdu sur le PC qui transmettait les résultats au Ministère. Je n’ai pas vu de rapport entre ce rôle de coach du bureau principal et celui de membre du Collège d’experts chargé d’étudier le bon fonctionnement du système dans ce bureau principal mais cela n’a pas semblé choquer le Président.

Au moment convenu, le Président a interrompu les opérations (sans intérêt) de recopie des clés USB sur l’ordinateur manipulé par le fonctionnaire communal (?!) pour envoyer leur contenu vers le Ministère de l’intérieur via le logiciel Martine de la société Civadis (resté secret jusqu’à ce jour). Les assesseurs ont alors versé le contenu d’une enveloppe (provenant d’une urne) sur une table et ont commencé à les trier (en station debout). Les tickets de vote, étant du « papier » thermosensible, s’empilaient mal et tombaient parfois à terre. Après comptage des piles, il est apparu une petite différence avec le comptage fait par l’urne électronique et enregistré sur la clé USB. Il a donc fallu recompter les tickets et, la deuxième fois, le comptage par listes fut correct. Il n’y a évidemment pas eu de recomptage des voix de préférence puisque ce n’est pas prévu par la loi.

Le Président m’a alors demandé de quitter les lieux puisque, d’après lui, ma mission était terminée. Je lui ai objecté que la loi prévoit le recomptage d’AU MOINS UNE URNE (voir plus haut la pertinence de ce choix) et que je ne devais pas quitter les lieux dans ces circonstances. Il a alors interrogé les assesseurs (qui venaient de faire deux comptages en position debout) quant à l’opportunité de compter éventuellement une autre urne. Faisant fi de toute considération statistique (ce qui est normal pour un docteur en droit qui ne connaît rien aux mathématiques), les assesseurs se sont empressés d’approuver le souhait du Président d’en rester là. J’ai donc été escorté vers la porte par le fonctionnaire régional, tout heureux d’être débarrassé de la corvée qui lui avait été imposée par le Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale (du tiers monde).

Conclusions

Au journal télévisé du soir, les communicants de la région bruxelloise se sont vantés d’avoir accueilli de nombreux visiteurs venus de l’étranger (dont la Corée du SUD) pour observer nos élections, avec beaucoup de satisfaction. Cela en disait long sur l’état d’esprit d’autorités qui confondent mission d’observation et tournée publicitaire.

Dans les faits, on peut retenir plusieurs choses, toutes aussi peu satisfaisantes.

• C’est la croix et la bannière pour faire admettre un observateur.
• L’unique observateur toléré de mauvais gré par le gouvernement de la région est tenu à la culotte par un fonctionnaire, de mèche avec le Président de l’unique bureau principal autorisé à l’observation (et désigné plusieurs jours avant le scrutin).
• Le Président ne cache pas qu’il considère l’observateur comme un importun et veille à le faire mettre à la porte aussi vite que possible.
• Le choix de ne recompter qu’une seule urne n’a aucun sens statistique et n’est justifié que par le souhait de se débarrasser aussi vite de ce qui est considéré comme une corvée et pas comme une tâche nécessaire pour assurer la sincérité du scrutin.
• Ce recomptage se limite (par la loi) aux totaux par liste et n’aborde absolument pas les voix de préférence. Vu que ces voix de préférence ont toute leur importance dans le système électoral belge, on subodore que le recomptage prévu par la loi a surtout pour but de faire taire les critiques et pas de veiller à la bonne marche des élections.
• Enfin on note que ce recomptage n’est prévu qu’en région bruxelloise pour les élections communales. Il n’a été question nulle part de l’étendre à tous les scrutins réalisés, là ou ailleurs, avec les mêmes machines à voter. On peut en déduire que les autorités se moquent totalement des critiques émises quant à l’obscurité d’élections réalisées par des machines à voter.

Cette expérience d’observation limitée et sous étroite surveillance a été tellement décevante, futile et sans véritable intérêt que nous avons jugé inutile de la répéter à l’occasion du scrutin communal d’octobre 2024.