08/06/2004: Le vote électronique c’est la voie du progrès ?
Petite réflexion sur une certaine conception du progrès
Sommes-nous sur des rails ?
N’y a-t-il qu’un bouton "marche avant - marche arrière" dans la locomotive du progrès ?
N’y a-t-il pas de gouvernail pour se diriger vers les meilleures routes ?
Non, c’est connu, le train est un engin qui ne peut choisir sa route librement : il doit suivre des rails .
Est-ce pour cela qu’on parle de train pour l’emploi, de train de mesures, voire de réforme à grand
train ?
Même logique pour le vote automatisé : il n’y aurait que 2 possibilités : le futur, c’est à dire le vote électronique et le passé, c’est à dire le papier. Dans le cas du papier, on dit même "retour au vote papier" comme si c’était un retour en arrière.
On pourrait dire "maintien du vote papier" (puisque 56% des électeurs votent papier), ou amélioration du vote papier, on dit "retour au vote papier".
Dans la mythologie du progrès sur rails, il n’y a pas d’aiguillages, il n’y a pas de choix, la direction est fixée d’avance.
Il n’y a aussi qu’un convoi, il rassemble tout en vrac, le "besoin" de nouvelles technologies (lesquelles ?), le besoin d’information (laquelle ?), le besoin de citoyenneté (laquelle) etc ...
Si l’économie est le moteur du train, le reste n’a qu’à suivre.
Dans cette pensée linéaire (marche avant / marche arrière) qui rappele furieusement les échelles de classement scolaire, professionnelles, boursières, (plus performant / moins performant, en hausse / en baisse), il n’y a pas de place pour l’intelligence.
Penser que la démocratie ne prend pas nécessairement le même train que le vote électronique, en tout cas pas celui qui est annoncé, c’est trop subtil.
J’aurais envie de dire : vote électronique : un petit pas en avant pour la technicité, un grand bond en arrière pour la démocratie.
Le vote électronique est-il un progrès ? s’agit-il d’une progression (là où les rails nous emmènent), ou s’agit-il d’une amélioration (de quoi ?) ?
L’informatisation est-elle toujours acceptée, dans tous les domaines ?
Le programme "échelon" est une merveille de progrès dans les techniques de mise sur écoute, est-ce pour autant souhaitable sur le plan démocratique ?
Grand bond en arrière
Grâce à un meilleur accès à l’éducation (qui n’est pas tombé du ciel), les citoyens ordinaires pouvaient enfin maîtriser le scrutin, ils pouvaient comprendre ce qu’ils faisaient , ils pouvaient voter sans l’aide d’un notable, ils pouvaient être choisis pour dépouiller eux-même le scrutin (comme des jurés d’assise).
Ca c’était un progrès ! Mais au lieu de le consolider, de le parfaire, de le ré-expliquer, on a remis le compteur à zéro. Quels sont les électeurs qui comprennent le fonctionnement d’un ordinateur
? Pas besoin ? Et le papier alors, c’était pas nécessaire de comprendre ce qu’on faisait ?
Désafection du citoyen pour les élections ? On gadgetise le vote, on lui donne un look "moderne" et on espère ainsi ramener le citoyen à la politique.
On aurait pu au contraire, faire un effort de mémoire vis-à-vis de l’histoire, rappeler pourquoi le vote est à bulletin secret, pourquoi ce sont de simples citoyens qui doivent dépouiller le scrutin,
faire des enquêtes sérieuses pour mesurer l’ampleur réelle des erreurs ou tricheries qui apparaissent parfois dans le vote papier, dire en quoi ces erreurs modifient ou non le résultat final. Ne pas se contenter de laisser courir des bruits : "on sait bien que le vote papier présente aussi des erreurs", "dans certains bureaux, on fait n’importe quoi des bulletins" etc ...
Autant de rumeurs qui discréditent le vote démocratique si on ne prend pas soin de les évaluer à leur juste mesure.
La machine vient au secours
Puisqu’on ne peut faire confiance aux humains ... faisons confiance aux machines : Nous sommes des humains, donc imparfaits, faillibles, pas toujours honnêtes, mais la machine elle, impartiale et précise, sans états d’âme, remplacera l’humain là où il échoue.
C’est oublier que la machine fait aussi des erreurs, qu’elle est vulnérable, qu’en définitive elle est une oeuvre humaine, conçue par des humains, programmée par des humains.
C’est oublier que la machine peut avoir un vice de fabication, fortuit ou délibérément organisé.
Comme le dit A-E Bourgaux (Conférence-débat : Le vote électronique est-il compatible avec la démocratie ?), on peut passer du mythe de Prométhée (l’homme imparfait reçoit de Prométhée le secret de la machine à voter volée aux dieux) à celui de Frankenstein (suite à une petite bavure, la créature ne correspond pas à l’être sublime dont rêvait l’ambitieux docteur).
Bien sûr on peut perfectionner la machine, la surveiller, ne plus lui faire entièrement confiance même, en organisant un vote parallèle, un vote sur le mode papier, discrètement, pour ne pas trop montrer qu’on n’est pas arrivé à fabriquer la machine parfaite, pour ne pas rompre le charme.
C’est ce qu’on a tenté avec le "ticketting", cette façon exquisement sophistiquée (et coûteuse) de transcrire un vote sur un bout de papier en utilisant un crayon optique, un pc et une imprimante
pour fabriquer le bulletin devant l’électeur ébahi. En utilisant ce ’schmilblick’ audacieux, l’électeur a peut être l’impression qu’il acquiert lui aussi la sophistication qui sied tant au citoyen moderne. Quoi de plus valorisant que de se savoir enfin du bon côté du fossé numérique ?
Même au détriment du bon sens ? Puisqu’il n’arrive pas à s’impliquer dans un geste démocrate, puisqu’il n’a pas, définitivement, les qualités requises, qu’il réussisse au moins son petit examen de passage vers la modernité, que par ce geste il participe au grand élan de notre pays vers le futur numérique, bref, qu’il soit dans le coup.
Le fait de se retrouver face à un écran d’ordinateur dans l’intimité de l’isoloir participe pleinement à cette symbolique. Le pc n’est-il pas devenu l’attribut de celui qui reste dans la course ? La carte-bulletin magnétique aussi : elle rappelle la carte bancaire, la carte de crédit, autre attribut qui sépare les exclus de ceux qui "comptent". Remplacez cet attirail par un lecteur optique de bulletins papier, sorte de calendreuse avalant le bulettin par son bord et nécéssitant l’aptitude manuelle d’une bonne repasseuse et l’enchantement cesse ! D’ailleurs on ne vous confierait pas cette tâche, vous risquez évidemment de tout bloquer devant tout le monde.
Dans l’isoloir par contre, personne ne pourra lire sur votre visage la perplexité lorque vous verrez toutes les listes confondues sur le petit écran.
Non, décidement, en termes de marketing politique, on fait une belle opération avec le vote électronique !
Bientôt, on pourra sonder le taux de satisfaction des électeurs comme test-achats, petit plus, grand plus, petit moins, grand moins, zéro pointé !
Maître achat ! Pas besoin de se demander si le produit est utile, non, il nous attend au rayon des nouveautés.
Ah mais j’oubliais, une telle étude existe déjà, c’est l’enquête du CEVIPOL ! (VOTE ÉLECTRONIQUE ET PARTICIPATION POLITIQUE EN BELGIQUE)
Michel Vandenbranden