18/02/2005: Lettre ouverte aux députés des partis démocratiques du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
Mesdames et Messieurs les député(e)s,
En octobre 2006 auront lieu les élections communales. Depuis la dernière réforme institutionnelle du Lambermont, les élections communales sont de la compétence des Régions. Vous savez probablement que le parc d’ordinateurs affecté exclusivement au vote électronique a partiellement atteint la limite d’âge prévue par les dispositions prises.
En effet, près de la moitié des machines à voter de la Région [1] ont été achetées en vue des élections de 1994 et leur durée de vie prévue était de 10 ans. Ce n’est que sur une décision du conseil des ministres qu’il a néanmoins été décidé d’encore les utiliser pour les élections du 13 juin 2004. [2]
Décider de continuer à utiliser ces machines constituerait un risque certain qui pourrait avoir pour conséquences des pannes, des files d’attente ou pire, des résultats aberrants. Mais leur remplacement impliquerait d’importantes dépenses supplémentaires pour les pouvoirs publics. Ces dépenses sont d’autant plus absurdes que rien n’oblige les Régions à organiser les élections par le moyen du vote électronique.
Il faut savoir que de l’aveu implicite du Ministre de l’Intérieur et contrairement à ce que ses prédécesseurs avaient affirmé auparavant, les scrutins automatisés coûtent beaucoup plus cher que les scrutins « papier » [3]. Et ce coût devrait encore augmenter si le système actuel était remplacé par un système plus fiable, accompagné de tous les audits nécessaires (ce qui ne manquerait pas d’arriver si, dans l’hypothèse du maintien de l’automatisation, l’on suivait les recommandations du collège des experts [4]).
Le vote électronique a été introduit en Belgique à titre expérimental et provisoire en 1991. Plus de dix ans après, aucun débat parlementaire approfondi n’en a tiré le bilan : l’« expérience » court toujours alors que les objectifs annoncés n’ont pas été atteints : le vote électronique n’est pas plus rapide, il coûte nettement plus cher et il n’est pas plus fiable. [5]
Que ce soit au Venezuela, aux Etats-Unis [6] ou plus récemment en Ukraine, les événements nous ont montré à quel point les élections peuvent devenir une source d’instabilité et de défiance à l’égard de la classe politique, lorsqu’elles n’offrent pas toutes les garanties. Le pire des cas se présente quand des résultats anormaux ou contestés ne peuvent faire l’objet d’aucune vérification car la trace matérielle des votes n’existe plus. Ce cas s’est encore présenté lors des dernières élections américaines dans des comtés où un système de vote électronique avait été utilisé : une polémique à grand renfort d’experts s’est engagée autour de résultats favorables au candidat Bush, dans plusieurs endroits traditionnellement démocrates où le vote était organisé électroniquement. Le vrai problème est que le doute sur la fiabilité de ces résultats subsistera toujours car à aucun moment il n’a été réellement possible pour les assesseurs de s’assurer que le vote émis par les électeurs avait été fidèlement enregistré par les machines à voter et les machines à totaliser. Si des bulletins en papier avaient été utilisés, les vérifications nécessaires auraient pu être effectuées et ceci par des citoyens ordinaires. Résultat : une frange non négligeable de l’électorat démocrate doute de l’honnêteté de ces élections comme de celle de Floride en 2000. Ceci se passe aux USA mais en fait le vote électronique « à la belge » n’offre pas plus de garanties. Lors des élections de mai 2003 et de juin 2004, des résultats aberrants ont été constatés à Schaerbeek et à Anvers [7].
Quitter le système de vote électronique est possible, souhaitable et facile. L’opportunité s’en ouvre aux Régions puisqu’elles sont compétentes pour organiser les élections communales.
En fait, la sortie du système de vote électronique ne constitue pas une première : le canton de Mouscron l’a fait en 1999 parce que les investissements communaux nécessaires (malgré la contribution de
20% du Fédéral) avaient été estimés impossibles. [8] La Région Bruxelloise, actuellement gouvernée par une majorité de partis qui se sont déclarés opposés ou au moins réservés vis-à-vis du vote électronique tel qu’il est actuellement pratiqué dans notre pays, s’honorerait à être la première à décider le retour à une procédure de vote réellement démocratique, c’est à dire directement vérifiable par le corps électoral et son émanation, les assesseurs.
En tant que citoyens soucieux du devenir de la démocratie et de son corollaire, l’élection honnête et transparente de ses représentants, nous vous demandons de prendre les initiatives législatives nécessaires pour éviter une reconduction tacite du vote automatisé.
Nous restons à votre disposition pour de plus amples informations et ne
manquerons pas de vous rencontrer si vous le désirez.
Avec nos meilleures salutations,
Pour l’association citoyenne PourEVA,
Jacques Bourgaux, Patricia Fenerberg, David Glaude, Kommer Kleijn,
Hendrik Laevens, Michel Staszewski, Michel Vandenbranden, Claire Verhesen.
[1] Canton électoral de Bruxelles, de Saint-Gilles, de Molenbeek-Saint-Jean (Molenbeek-Saint-Jean, Ganshoren, Jette et Koekelberg) et de Saint-Josse-ten-Noode (Saint-Josse-ten-Noode, Etterbeek, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre).
[2] Cf. Brochure SPF Intérieur sur l’organisation des élections de Juin 2004. ELECTIONS DU 13 JUIN 2004 : Les élections à venir p.17
[3] Lors d’une réponse à une question orale au Sénat, on a pu apprendre que le coût réel de l’organisation des élections automatisées équivaut à deux à trois fois le prix d’une élection papier, habituellement estimée à 1 € par élection et par électeur. "Demandes d’explications de M. Philippe Mahoux au vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur sur le "vote électronique" (n°3-197) Sénat de Belgique, Annales, Séance du jeudi 1er avril 2004. http://www.senat.be/www/?MIval=/publications/viewPubDoc&TID=50334687&LANG=fr
[4] Cf. « Rapport du collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés » Elections du 13 juin 2004, http://www.lachambre.be/FLWB/pdf/51/0014/51K0014001.pdf
[5] Lire, à ce sujet, notre « Lettre ouverte aux membres du Parlement fédéral. Le vote automatisé, une atteinte grave à la démocratie. » (PourEVA Décembre 2003). Voir site de Poureva Lettre ouverte aux membres du parlement fédéral de Belgique (Introduction) ou sur demande.
[6] cf. articles sur le site de PourEVA États-Unis
[7] Cf. « Rapport du collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés »
Elections du 13 juin 2004, page 31 http://www.lachambre.be/FLWB/pdf/51/0014/51K0014001.pdf et
Elections du 18 mai 2003, page 21 http://www.senate.be/wwwcgi/get_pdf?50332116
[8] A.R. du 11 avril 1999