01/12/2003: Article sur le vote électronique dans la revue Ubiquité
VOTE ELECTRONIQUE : ELEMENTS JURIDIQUES POUR UNE QUESTION DEMOCRATIQUE
Nous avons obtenu l’autorisation de l’auteur, Axel Lefebvre, Maître de conférence à la Faculté de Droit de Namur (FUNDP) ainsi que de l’éditeur, De Boeck Larcier, pour publier sur notre site un article à propos du vote électronique et publié dans la revue Ubiquité (revue consacrée au droit des technologies de l’information - FUNDP, DGTIC, CRID) (n° 17 de déc 2003).
Vote électronique : éléments juridiques pour une question démocratique
Axel LEFEBVRE [1]
Le vote électronique en Belgique
Le vote automatisé a d’emblée séduit les responsables politiques belges chargés de l’organisation des scrutins. Face aux difficultés de recrutement des citoyens désignés pour composer les bureaux de vote et de dépouillement, le vote automatisé est apparu comme une solution qui avait le mérite de l’efficacité. Ajoutons que le côté technologique de la proposition permettait de se doter d’un vernis de dynamisme et de modernité utile en période électorale.
I. Une loi spécifique
Après un travail préparatoire mené par le ministère de l’Intérieur, le législateur a établi un cadre légal au vote automatisé par la loi du 11 avril 1994 [2]. La Belgique a donc joué un rôle précurseur dans ce domaine en se plaçant parmi les premiers pays à lancer les expérimentations de vote automatisé dans le cadre d’élections publiques.
La loi du 11 avril 1994 avait pour double objectif d’insérer le vote automatisé dans le cadre réglementaire électoral et de mettre en place un certain nombre de dispositions garantissant la validité, la sécurité, le secret et la fiabilité de cette procédure de vote particulière.
La loi a été plusieurs fois modifiée afin de renforcer les garanties couvrant la validité des scrutins. Le législateur a ainsi institué un collège d’experts désignés par les assemblées et chargés de « contrôler lors des élections l’utilisation et le bon fonctionnement de l’ensemble des systèmes de vote et de dépouillement automatisés ainsi que les procédures concernant la confection, la distribution et l’utilisation des appareils, des logiciels et des supports d’information électroniques » [3]. Avant la validation des élections, le collège d’experts remet au ministre de l’Intérieur et aux assemblées législatives un rapport pouvant notamment comprendre des recommandations relatives au matériel et aux logiciels utilisés.
La loi décrit les opérations de vote automatisé en prenant soin d’inclure la possibilité pour l’électeur du vote blanc. Le législateur prévoit les difficultés des électeurs face à la technologie elle-même puisque son article 9 mentionne que « l’électeur qui éprouve des difficultés à exprimer son vote peut se faire assister par le président ou par un autre membre du bureau désigné par lui, à l’exclusion de témoins ou de toute autre personne ».
Les opérations de totalisation des votes sont en outre réglementées avec précision de manière à garantir leur validité.
Sur la base de ce texte, les élections de 1994 ont été le terrain des premières expérimentations in situ [4]. À l’origine, seules quelques communes avaient été sélectionnées pour lancer l’expérience. Forts d’un bilan positif, les pouvoirs publics ont ensuite étendu la procédure automatisée à une partie très significative des circonscriptions électorales. Ainsi, lors des élections communales de 2000, près de 40 % des électeurs ont voté via un ordinateur. Les élections législatives de 2003 ont permis de faire encore progresser le vote automatisé.
Armés de volontarisme et d’enthousiasme, les pouvoirs publics belges se sont appuyés sur le bilan globalement positif des expériences menées pour conclure à l’innocuité et à l’utilité du vote électronique. Que le bilan ait été plutôt positif, cela semble être le cas ; pourtant on peut craindre que ce bilan n’ait eu à souffrir d’un débat artificiellement limité à des aspects très pratiques, omettant des questions importantes de portée démocratique.
Sous le vernis des succès belges du vote automatisé se cache en effet une véritable polémique citoyenne doublée de décisions de jurisprudence assez provisoires. On sait en effet qu’une association de citoyens s’est constituée pour s’opposer au vote automatisé tel que pratiqué en Belgique [5]. On sait également qu’avant d’être contredit au fond, un magistrat a estimé au provisoire que le vote automatisé n’était pas conforme à l’article 25, b, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 [6]. On a en outre vu, lors des dernières élections législatives de 2003, des électeurs refuser de voter via un ordinateur en lequel ils n’avaient pas une totale confiance. Enfin, on connaît les actions portées devant le Conseil d’État belge et l’affaire actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Avant de connaître la décision de la Cour de Strasbourg, il convient de s’attarder sur les arrêts du Conseil d’Etat belge. Nous verrons que ces décisions, loin de clore le débat, éludent une partie des questions fondamentales qui se posent en cette matière. Nous nous proposons donc ici de reprendre le débat du vote électronique de la manière la plus large possible. Aussi, ne nous limiterons nous pas au vote automatisé en bureau de vote tel que pratiqué en Belgique. Nous examinerons également les enjeux du vote électronique en ligne accessible potentiellement de n’importe quel ordinateur connecté. Cette possibilité est d’autant moins improbable que deux parlementaires ont naguère rédigé une proposition de loi en ce sens [7]. Cette proposition ne fut pas retenue mais l’un de ces parlementaires est aujourd’hui secrétaire d’Etat à la simplification administrative [8]...
II. La jurisprudence du Conseil d’État
Le Conseil d’Etat a été très tôt saisi de questions ayant trait au vote électronique. En 1995, des candidats aux élections communales contestent la décision de la députation permanente du conseil provincial de Liège relative aux conditions de ce dernier scrutin [9]. Faisant feu de tout bois, ils évoquent le vote électronique parmi une série d’autres griefs. Ils se limitent cependant à relever « les multiples violations du secret de vote, à cause des interventions des présidents de bureaux de vote à la suite de l’informatisation du vote électronique » ainsi que « les pannes électroniques imprévues » qui ont privé certains citoyens du droit d’exprimer leur suffrage. Ces deux moyens ont été écartés par le Conseil d’Etat d’un revers de la main en renvoyant simplement à la décision de la députation permanente mise en cause. Il est vrai que la loi du 11 avril 1994 répondait au premier moyen [10] alors que le second n’est qu’une question de fait sur lequel il serait inutile de gloser longuement. Pourtant, cet arrêt reste le premier d’une série de litiges qui approfondira le débat en tâchant de forcer la juridiction administrative à prendre une position de principe.
Dans les différents litiges portés devant le Conseil d’Etat, quelques questions précises vont lui être posées avec insistance.
1. L’absence de contrôle démocratique du processus électoral
L’informatisation des scrutins place sans conteste un filtre entre les citoyens et les opérations de vote. Alors que le contrôle démocratique des citoyens eux-mêmes constitue une garantie essentielle pour authentifier et valider la régularité des résultats, le vote automatisé ne peut plus être compris et donc contrôlé que par des experts informaticiens. Certains citoyens ont donc soumis cette question au Conseil d’Etat en faisant valoir que, d’une part, « l’électeur ne peut procéder au contrôle de son bulletin de vote », que, d’autre part, « l’institution d’un collège d’experts n’est pas de nature à remplacer le contrôle indépendant des électeurs et des candidats », ce qui permet de considérer que « l’autorité réelle de contrôle des opérations électorales est le ministre de l’Intérieur et son administration », soit « le pouvoir en place » [11].
Le Conseil d’Etat va répondre à la première branche de ce moyen en relevant qu’il est inexact d’affirmer que le citoyen ne peut contrôler son vote. Il peut le faire sur le terminal de vote après avoir encodé son choix [12]. Ce contrôle repose néanmoins sur la confiance faite au système informatique puisqu’on ne peut vérifier si l’opération informatique de contrôle est elle-même valide. La juridiction administrative ne s’embarrasse pas de cette question, elle se borne à souligner que les experts ont attesté qu’il y avait concordance entre le vote émis et les informations stockées sur la carte magnétique.
Quant à l’indépendance des experts, le Conseil d’Etat estime qu’il est difficile de mettre en doute l’indépendance d’experts nommés par les assemblées représentatives et « qu’à suivre ce raisonnement il faudrait nécessairement nier l’indépendance et l’impartialité de tous les magistrats de Belgique, nommés par le Roi sur proposition du ministre compétent, et donc du "pouvoir en place", ce qui ne se peut » [13].
On le voit, le Conseil d’Etat apporte une réponse lapidaire à une question importante. Il se contente d’une réponse formelle pour le premier argument et d’une réponse par l’absurde pour le second alors qu’il eût été utile de prendre une position de principe tout à fait claire.
2. L’accès des citoyens aux logiciels de vote électronique
Le Conseil d’Etat a dû se pencher sur cette question lorsque le ministre de l’Intérieur a refusé à un citoyen l’accès aux documents administratifs relatifs au vote automatisé. Cet acte sera annulé par la juridiction administrative au motif notamment que la loi de 1994 organisant le vote électronique n’apporte aucune restriction à la loi relative à la publicité de l’administration [14]. Le Conseil d’Etat fait donc une stricte application de ce dernier texte légal en ajoutant en outre qu’on « aperçoit difficilement comment le requérant - ou tout autre citoyen -pourrait porter atteinte à la fiabilité du système, alors qu’il ne pourrait disposer que d’une copie des logiciels et que les opérations électorales se déroulent en circuit fermé, c’est-à-dire sans que les données ne transitent par un réseau accessible à d’autres personnes » [15].
Cette décision présente un réel intérêt puisqu’elle lève un coin du voile d’opacité des opérations électorales automatisées. Il est désormais possible de connaître le fonctionnement du système informatique commandé et mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur. Il ne faudrait pourtant pas croire que cette transparence suffise à régler la question du contrôle citoyen car ce n’est que l’algorithme qui est dévoilé en dehors de toute utilisation effective. On peut donc savoir comment les opérations devraient se dérouler ; on ignore comment elles se sont effectivement déroulées.
3. La possibilité du vote blanc
La question est assez peu significative dans la mesure où la loi du 11 mars 1994 organisant le vote automatisé prévoit explicitement la possibilité de choisir de ne pas choisir. Pourtant certains citoyens ont estimé que le vote blanc n’était pas proposé ou à tout le moins était quasi impossible. Très logiquement, le Conseil d’Etat a suivi le collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale qui rejetait cet argument en relevant que le procès-verbal du scrutin recensait près de 7 % de votes blancs ! [16]
4. Le secret du vote
Ce problème a été soulevé essentiellement comme une question de fait puisque ce n’est pas le procédé du vote électronique qui a été mis en cause mais au contraire les circonstances déterminées d’un scrutin bien précis. Un requérant a ainsi estimé que « le secret du vote a été violé (en ce que) dans chaque bureau on a eu recours à une personne non assermentée afin d’accompagner dans son choix l’électeur hésitant » [17]. Le Conseil d’Etat a rejeté ce moyen au motif qu’il ne se fondait pas sur des éléments précis et concrets ou sur des présomptions crédibles. Au-delà de ces éléments de fait, on peut rappeler que la loi prévoit la possibilité d’une assistance des électeurs par le président du bureau de vote sans que l’on puisse pour cela mettre en cause le secret du vote. La question du secret du vote doit davantage être examinée au regard de la technologie elle-même. S’il est vrai que le vote électronique en bureau de vote pose peu de problèmes à cet égard, il n’en sera sans doute pas de même dans le cas du vote en ligne.
5. L’égalité des listes au regard de leur ordre d’apparition à l’écran
Les contraintes techniques liées à la taille de l’écran des ordinateurs ont justifié une remise en cause de la liberté de vote. Selon des plaignants, « le programme d’ordinateur impose en effet à l’électeur de choisir une liste, avant d’exprimer son vote », et que « de la sorte, et contrairement au vote papier, l’électeur ne peut examiner librement et simultanément l’ensemble des candidats présents sur les listes proposées à son suffrage et qu’il est donc incontestable que l’électeur est guidé dans son vote par les choix préalables qu’il doit effectuer, avant de voir les noms des candidats d’une seule liste » [18].
Face à cet argument, le Conseil d’Etat a rappelé l’article 15 de la loi du 11 avril 1994 qui impose l’affichage sur papier de l’ensemble des listes de candidats dans chaque bureau de vote et dans chaque isoloir. Il a en outre ajouté que cette même loi prescrit la visualisation sur l’écran des numéros d’ordre et des sigles de toutes les listes ainsi que la possibilité de recommencer un vote qui ne serait pas confirmé [19].
La réponse du Conseil d’Etat est certes pertinente et l’on voit mal comment il aurait pu s’éloigner du prescrit légal qui règle cette question. Il n’empêche qu’il est vraisemblable que la présentation particulière des candidats sur écran puisse avoir une influence quelconque sur le choix de certains électeurs, notamment les indécis non politisés.
III. Que conclure de la jurisprudence belge ?
Les réponses du Conseil d’État apparaissent décevantes et à tout le moins quelque peu provisoires. Nous eûmes pu espérer des arrêts de principe permettant de régler les difficultés que suscite le vote électronique notamment au regard de l’article 25, b [20], du Pacte international des droits civils et politiques de New York [21]. Au lieu de cela, la juridiction administrative semble s’être surtout attachée à éviter l’annulation de scrutins et, plus largement, éviter la remise en cause du vote automatisé. Les questions ont pourtant été partiellement entendues par le législateur puisqu’il a plusieurs fois modifié la loi du 11 avril 1994. Les lois du 18 décembre 1998 [22] et du 11 mars 2003 [23] ont en effet tenté de rencontrer les lacunes du vote automatisé en matière de contrôle démocratique. Ces deux textes introduisent respectivement le collège d’experts désignés par les assemblées représentatives et le système du ticketing, c’est-à-dire une impression sur papier du vote des électeurs permettant de contrôler la concordance et de procéder à une vérification ultérieure. Le législateur n’a vraisemblablement pas vidé la question laissée sans réponse définitive par le Conseil d’Etat. C’est pourquoi trois citoyens belges se sont adressés à la Cour européenne des droits de l’homme. Leur requête [24] s’appuie sur quatre moyens alléguant de la violation de l’article 3 du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que des articles 10, 14 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est-à-dire respectivement sur le droit à des élections libres, la liberté d’expression, l’interdiction de la discrimination et le droit à un recours effectif.
On attend avec impatience l’arrêt de la Cour strasbourgeoise. D’ores et déjà, nous pouvons analyser l’ensemble de la problématique pour en synthétiser les enjeux démocratiques qui dépassent de loin l’analyse de la loi et de la jurisprudence belge. Nous nous affranchirons donc dans les pages qui vont suivre de la situation belge pour nous pencher d’un point de vue plus politique que juridique sur la question du vote électronique. Comme annoncé, nous élargirons notre analyse au vote électronique en ligne sur réseau ouvert qui fait l’objet d’une tentation politique de plus en plus prononcée.
2 Examen de la problématique général du vote électronique
I. Le vote électronique en pratique
Afin d’appréhender l’ensemble des enjeux du vote électronique, il est important de nous arrêter rapidement sur ses aspects pratiques.
D’un point de vue technique, le vote électronique peut prendre différentes formes. Les technologies utilisées peuvent en effet autant varier que le niveau d’automatisation. Il faut donc distinguer, d’une part, le simple système de décompte électronique des voix, et, d’autre part, la procédure intégrale de vote électronique [25]. Concernant le vote électronique en tant que tel, le premier niveau de mise en oeuvre consiste à utiliser l’outil informatique pour procéder au scrutin dans le bureau de vote non connecté au réseau internet. Il s’agit alors du vote hors ligne tel que pratiqué en Belgique ou aux Pays-Bas. Dans ce cas, le vote ne transite pas par un réseau ouvert, ce qui limite les risques d’interception, circonscrit les difficultés techniques et permet de maintenir un contrôle physique de la régularité des opérations de vote, ou, à tout le moins, de leur régularité apparente.
Le vote électronique accède à un niveau d’innovation supérieur lorsqu’il est pratiqué à distance via les réseaux de communication ouverts. On parle dans ce cas du vote électronique en ligne qui fait l’objet d’un nombre croissant d’expérimentations. Ce type de vote peut emprunter différents supports et canaux technologiques :
le vote par téléphone utilisant les touches du téléphone pour enregistrer son vote. Ce type de vote a déjà été utilisé en Angleterre à Bristol, Milton Keynes et Croy-don pour des référendums consultatifs ;
le vote par messages téléphoniques textuels sur téléphones mobiles ;
le vote via la télévision interactive. Le développement et la diffusion de cette technologie permettent en effet de faire transiter les votes individuels via le câble télévisuel. À notre connaissance, aucune expérience réelle n’a été tentée avec cette technologie ;
le vote sur internet. Ce type de vote assure la mobilité du vote puisque l’électeur peut se connecter au site électoral à partir de n’importe quel terminal, c’est-à-dire aussi bien de son domicile que d’une borne publique ou d’un appareil portable [26].
Parmi ces différentes possibilités techniques, le vote par internet apparaît être à l’heure actuelle celle qui concentre le plus de projets et d’expériences. Le téléphone comme instrument de vote présente l’avantage d’être un instrument devenu universel, mais il ne peut apporter de solutions convaincantes aux problèmes de l’identification des électeurs et du secret du vote. En outre, il s’agit d’un média unisensoriel qui présente une difficulté pour la présentation et le choix des candidats à choisir [27]. Le vote par messages téléphoniques textuels n’est en général pas retenu comme une option attrayante. Le caractère sommaire et brut du message textuel est en effet jugé comme trop trivial pour l’enjeu électoral [28]. L’émergence de téléphones mobiles offrant l’accès à internet déprécie encore l’intérêt du message textuel. Enfin, la télévision interactive, bien que porteuse de potentialités importantes [29], souffre encore d’une diffusion inégale qui limite son intérêt dans le cadre d’un scrutin public.
Le réseau internet est donc l’option privilégiée par de nombreux promoteurs du vote automatisé à distance. La technologie internet est aujourd’hui devenue commune, mais il ne faut pourtant pas sous-estimer la difficulté technique d’un scrutin électronique sur internet. B. Rothke explique que les élections américaines de 2000 ont enregistré un total de 103 814 206 votes en dix-huit heures. Cela signifie qu’une plate-forme de vote sur internet devrait supporter une moyenne de 5,75 millions de votes par heure, soit un peu moins de 100 000 votes par minute [30] ! Ces chiffres ne constituant
qu’une moyenne, il faudrait pouvoir assurer des pics de votes beaucoup plus élevés. De plus un help desk d’une capacité de traitement considérable doit être mis en place pour fournir une assistance technique aux électeurs en difficultés.
Ces projections de nombres de transactions donnent bien la mesure du défi technologique de l’organisation d’un scrutin sur internet. On peut d’ailleurs se demander si le réseau internet lui-même peut supporter une telle concentration de transactions. Seuls les gros systèmes de paiement électroniques peuvent fournir des indications sur les problèmes techniques d’un tel projet. Le coût de conception et de maintenance de ces systèmes est considérable pour un nombre de transactions journalières plus de vingt fois moindre. Dans ces conditions, on aura compris que les pouvoirs publics devront faire appel à des sociétés commerciales spécialisées dans ce type de scrutin. Ces sociétés sont déjà très actives [31] et tentent souvent de promouvoir leurs produits sans prendre toujours en considération les aspects d’opportunité démocratique du vote en ligne. En France, la Commission nationale informatique et liberté s’est d’ailleurs inquiétée de l’impact d’une sous-traitance avec une société établie à l’étranger. Elle relève que « la procédure de vote envisagée conduirait à ce que l’organisation matérielle du vote dépende de dispositifs techniques situés à New York (transfert de la liste électorale, identification des électeurs ayant voté, établissement de la liste d’émargement, "dépouillement" par exploitation informatique des résultats), échappant ainsi à tout contrôle effectif des autorités nationales compétentes [32]
Ce contrôle doit pourtant être renforcé dans le cas du vote électronique car les risques de dysfonctionnement et de fraude augmentent considérablement par rapport au vote traditionnel. Les mêmes conditions de validité doivent pourtant être garanties, à savoir :
chaque citoyen doit pouvoir voter, et ce une seule fois ;
le vote doit rester anonyme et secret, même pour l’administration ;
le vote ne doit pas pouvoir être intercepté, modifié ou perdu ;
l’identité des électeurs doit être établie ;
le système doit être protégé contre tout dysfonctionnement et toute attaque ;
le nombre de votes doit correspondre au nombre d’électeurs ;
les électeurs doivent pouvoir prouver leur transaction mais pas le contenu de leur vote ;
les élections doivent pouvoir être contrôlées a poster/or/ [33].
Dans le cas du vote électronique, ces conditions imposent la mise au point d’une architecture informatique particulièrement complexe. Les différentes opérations de vote (identification des électeurs, vote en lui-même, collecte et conservation des voix et validation des résultats) [34] doivent par exemple être scindées en des entités
informatiques parfaitement indépendantes et étanches. De plus, les systèmes de vote sur internet doivent rester compatibles avec le maintien des procédures de vote traditionnel [35].
Comme on l’a évoqué, la distinction entre le vote électronique « hors ligne » et le vote électronique « en ligne » est importante. Malgré leurs différences, certaines analyses convergeront immanquablement pour participer à une même problématique. Aussi traiterons-nous ensemble ces deux types de vote automatisé.
II. Les critères d’analyse
1. Le faux de participation électorale
L’un des objectifs les plus directs du vote électronique à distance est l’augmentation de la participation électorale. Dans de nombreux pays, cette participation diminue progressivement depuis le milieu des années nonante. On constate par exemple que, sur une échelle mondiale, les Etats-Unis se trouvent à la 138e place du classement de la participation électorale par pays [36]. Les technologies de l’information constituent pour certains le remède à cette érosion de la participation. Il est vrai que certaines expériences de vote électronique à distance ont emporté un spectaculaire succès en terme de participation. On peut mentionner à cet égard les élections primaires d’Arizona en 2000 [37], ou celles du parti italien Partito radicale [38]. Mais les taux de participation record à ces deux élections doivent être considérés avec un certain recul critique pour n’en pas tirer de conclusions hâtives.
Dans le cas des élections primaires d’Arizona, le taux de participation a progressé de 600 % par rapport aux élections précédentes. Ce chiffre sans équivoque ne doit pourtant pas s’expliquer par la seule utilisation des technologies de l’information. Certains auteurs mettent évidence le fait que les élections de 1996 n’avaient pas attiré les électeurs vers les urnes parce que le candidat Clinton n’avait pas de véritable opposant [39]. Une compétition électorale sans enjeux avait fait baisser artificiellement le taux de participation, accentuant par là même l’écart avec les élections de 2000. En outre, la médiatisation de l’innovation technologique que constitue le vote électronique a contribué elle aussi à transformer une simple élection primaire en un projet collectif local.
L’expérience du Partito radicale peut elle aussi être lue de diverses manières. On a vanté la participation record à un scrutin somme toute d’importance modeste [40] pour un parti de petite taille. Il est vrai que le chiffre de 10215 électeurs est une belle réussite pour un parti aussi modeste. Mais on peut s’interroger sur l’écart entre le nombre de citoyens qui ont introduit une demande de code PIN nécessaire au vote et le nombre de votants effectifs. Seuls deux tiers des inscrits ont finalement pris part au scrutin. On peut analyser cette situation de la manière suivante. La médiatisation de l’initiative du Partito radicale fut indéniablement un succès puisque pas moins de 15 304 citoyens s’y sont intéressés en faisant la demande d’inscription. Pour ces derniers, le vote effectif ne devait plus être qu’une formalité simple et rapide. On constate pourtant qu’un tiers de ceux-ci se sont désintéressés du vote malgré la facilité du mode de scrutin. On peut croire que le ressort essentiel de la participation électorale n’est pas la commodité d’accès au vote mais davantage l’intérêt que le citoyen y place.
Il nous semble donc difficile de penser que la généralisation du vote électronique à distance permettrait de parvenir à des taux de participation semblables à ceux enregistrés dans ces expériences isolées.
La lutte contre l’abstention a d’ailleurs déjà fait l’objet de l’attention du législateur américain. Celui-ci a en effet estimé à la fin du siècle passé que la lourdeur de la procédure d’inscription sur les listes électorales était de nature à décourager les électeurs. Il a alors modifié ces procédures dans l’espoir de renforcer la participation électorale. Paradoxalement, on a vu cette participation décroître à mesure que la procédure se simplifiait. Il ne faut bien entendu pas en conclure que la simplification de cette procédure ait un effet négatif sur la participation électorale. Par contre, il faut admettre que ces deux éléments sont indépendants l’un de l’autre et chercher ailleurs les éléments responsables de l’abstention électorale. Cette illustration n’est sans doute pas parfaitement parallèle à la problématique du vote électronique à distance mais toutes deux portent sur la volonté de rendre l’accès au scrutin plus facile et plus rapide, l’un d’un point de vue procédural, l’autre d’un point de vue matériel. Dans un cas comme dans l’autre, le bénéfice pour l’électeur se situe au niveau de la commodité de l’acte de vote. On peut craindre que, passé l’effet de nouveauté, l’introduction du vote électronique à distance ne modifie pas réellement le taux de participation électoral. Il est évident que certaines catégories de la population profiteront directement d’un tel mode de scrutin. On pense notamment aux citoyens résidant à l’étranger [41] ou encore aux personnes handicapées. On peut croire aussi que certaines catégories de personnes se sentiront encouragées à voter lorsqu’elles n’auront qu’une simple manipulation informatique à effectuer sans même se déplacer. Mais il faut se garder de penser que la question de l’abstention électorale sera réglée de manière structurelle. Aux électeurs gagnés, il faudra opposer les électeurs perdus. Non pas que les technologies de l’information puissent faire fuir les électeurs, puisque ce problème peut trouver des correctifs (bornes publiques avec informateur, formation au vote et aux technologies elles-mêmes, maintien de la possibilité de voter sur papier...) et, en outre, s’atténue avec la progression de la pénétration de ces technologies dans la population. Par contre, les racines réelles de l’abstention électorale ne sont pas prises en considération dans les projets de vote électronique à distance. « Technologiser » le vote, c’est sans doute apporter une réponse spectaculaire à une fausse question. Le problème n’est en effet pas de savoir comment rendre le vote plus aisé et rapide, mais comment le rendre plus attrayant et intéressant. On peut même s’interroger quant à l’effet sur l’attractivité de l’élection d’un vote trop aisé. Peut-on en effet croire que le vote presse-bouton réduise le scrutin à un acte banal ? La mise en scène du vote papier ne contribue-t-elle pas à montrer au citoyen l’importance des enjeux ? N’est-ce pas aussi cette mise en spectacle qui avive l’intérêt des électeurs pour le vote ?
2. Le dépouillement
Le vote électronique à distance présente l’avantage évident de faciliter le dépouillement des scrutins. Le décompte des voix se fait par une opération électronique précise, rapide et peu coûteuse. Les différentes études relatives aux scrutins électroniques ajoutent ce bénéfice - indiscutable - à la liste des arguments en sa faveur [42]. Il est vrai que les procédures de dépouillement traditionnel sont longues et souvent fastidieuses. Le décompte des voix est manuel alors que leur agréation se fait sur papier. Dans certains cas, une procédure assez formelle est établie, reprenant le décompte des émargements, le compte des bulletins, la répartitions et le total des votes, enfin, l’établissement d’un procès-verbal par le secrétaire du bureau de vote. Toutes ces opérations se font sous la direction du président du bureau de vote et sous le regard des scrutateurs désignés par les partis et les candidats [43]. Il est vrai que cette procédure est lourde et nécessite un certain temps. On peut néanmoins se féliciter d’un tel formalisme. Une telle procédure - méthodique, collective et consignée -a en effet été établie pour garantir tant la fiabilité du dépouillement que sa régularité. La présence de témoins représentant les divers intérêts en cause atteste de la qualité de la procédure.
Le remplacement de la procédure de dépouillement manuel par un décompte électronique offre un incontestable avantage en termes de fiabilité arithmétique de la procédure. Par contre, le processus de dépouillement ne peut plus faire l’objet d’un véritable contrôle citoyen. La technologie est aux mains d’experts techniques supervisés par les fonctionnaires des services responsables de l’organisation des élections. Le progrès en termes de fiabilité arithmétique se paie par le recul du contrôle citoyen du dépouillement des élections. La parfaite opacité du système ne permet en effet pas aux observateurs d’attester de la régularité du dépouillement [44]. Si le système informatique a été configuré, par erreur ou dans un but frauduleux, pour ne décompter que partiellement un certain type de votes, les observateurs du scrutin ne peuvent le constater [45]. Au mieux peuvent-ils constater ce qu’ils lisent sur un écran sans pouvoir avoir la certitude que cela correspond aux opérations réellement effectuées [46]. Les informaticiens ne sont pas par essence des personnes de confiance [47] et le risque existe d’une collusion entre ces derniers et les fonctionnaires qui les encadrent sans que personne ne puisse la déceler. Le contrôle professionnel se substitue au contrôle citoyen. Les conséquences sur la confiance des électeurs en leur scrutin peuvent ne pas être négligeables. Et cela d’autant plus que l’absence de contrôle citoyen (par le corps des citoyens représentés par des observateurs) se double de l’absence du contrôle des citoyens. Les électeurs n’ont pas la possibilité de contrôler la validité de leur vote. L’opacité du système de dépouillement s’étend à l’acte de vote lui-même. Le site internet ou la carte magnétique peuvent tromper l’électeur sur le choix qu’il pose. Le système peut facilement être configuré pour qu’un vote X apparaisse à l’écran alors que c’est un vote Y qui est envoyé au serveur central et comptabilisé [48].
L’opacité du système de dépouillement constitue un recul démocratique majeur et doit, à cet égard, inviter à la plus extrême prudence. Il faut pourtant noter que certains pays ont trouvé dans le vote électronique une parade efficace contre la falsification grossière du dépouillement. La technique du bourrage des urnes avec de faux bulletins lors du décompte n’est en effet plus possible dans le cas d’élections électroniques [49]. Il ne faut pas tenter d’opposer ces deux aspects du dépouillement électronique que sont l’opacité du système et l’automatisation de celui-ci. L’un permet les fraudes globales tandis que l’autre empêche les fraudes locales. Face à ces deux dangers, c’est sans doute du premier dont il faut se prémunir en priorité ; mais on peut comprendre que certains Etats particulièrement soumis aux fraudes locales tentent d’abord d’enrayer celles-ci [50].
On le constate, le débat du dépouillement électronique porte plutôt sur les garanties démocratiques que sur la facilité et la rapidité de celui-ci. Il faut donc sans doute ne retenir ces bénéfices du dépouillement électronique qu’à titre anecdotique. On voit d’ailleurs que les gains de temps et de fiabilité ne répondent généralement à aucune insuffisance du dépouillement traditionnel. Difficile alors d’équilibrer la balance d’intérêt si les dangers en termes de contrôle citoyen ne peuvent être levés.
3. Le coût du scrutin
Les Etats investissent des budgets considérables dans l’organisation des scrutins électoraux. Le budget électoral comporte « des coûts d’investissement (achat d’équipement de vote : urnes, isoloirs...), des coûts de fonctionnement matériel (impression, stockage et distribution des bulletins de vote et autres professions de foi des candidats), enfin des coûts de personnel (personnel communal pour la tenue des registres électoraux, personnel du ministère de l’Intérieur pour la supervision et la vérification des opérations de vote) » [51]. La France dépense en moyenne 7,5 EUR par électeur inscrit avec, par exemple pour les élections européennes de 1999, un total dépassant les 98 millions d’EUR [52].
Ces chiffres sont indicatifs mais ne peuvent que difficilement servir de point de comparaison car le coût réel des élections est difficile à établir de manière définitive puisqu’il dépend notamment de la méthode de calcul (prix par citoyen, par électeur, par vote exprimé), du type de dépense comptabilisée (amortissements, ressources publiques mises à contribution...), voire même de la fréquence et de la complexité des scrutins.
Quoi qu’il en soit, les promoteurs du vote électronique défendent l’idée selon laquelle celui-ci permettra de faire baisser de manière considérable les sommes engagées. En réalité, c’est le coût marginal du vote qui devrait se réduire significativement. Les investissements de départ, quant à eux, sont énormes, puisqu’il faut pouvoir garantir une plate-forme parfaitement fiable tant du point de vue de son seuil de saturation et de sa sécurité que de l’exactitude des décomptes et de l’identification des électeurs. Selon le système adopté, les investissements varient en fonction des besoins tels que l’élaboration d’un software de certification des signatures (ainsi que sa gestion), le développement de mécanismes de protection des serveurs contre les attaques de hackers, la conception d’interfaces adaptées, la distribution et la gestion de cartes magnétiques (ainsi que la fourniture de lecteurs pour ces cartes), la mise au point de mécanismes de cryptographie... [53]
Une fois ces investissements consentis, le coût marginal par électeur du scrutin électronique devient très réduit. En Allemagne, il serait par exemple de 1 DM (au lieu de 13 pour le vote sur papier) [54]. Ce rapport de 1 à 13 pourrait être séduisant pour les pouvoirs publics s’il ne devait être relativisé. Le Canada déclare que ses élections traditionnelles coûtent en moyenne 1,5 CAD [55] alors que la société privée propose le prix de 2 à 4 EUR par électeur pour un vote par correspondance avec comptage électronique et 1 EUR pour un vote entièrement sur internet. Ces quelques données chiffrées ne constituent pas même un début d’étude de marché, mais elles permettent de tirer trois conclusions.
Tout d’abord, le prix d’une élection électronique à distance sera d’autant plus attrayant que le nombre d’électeurs sera important, puisque c’est le coût marginal que le scrutin électronique fait baisser. À l’inverse, les investissements de départ sembleront sans doute lourds aux pays de taille réduite.
Ensuite, on constate que, dans le débat sur le vote électronique, les argumentaires chiffrés sont en général captieux. En effet, la diversité des systèmes techniques, les variations de méthode de calcul ainsi que la fluctuation continue des prix (souvent à la baisse) ne permettent pas de tirer des conclusions précises sans un réel examen comparatif des propositions techniques et commerciales.
Enfin, il faut noter que les premières expériences de vote électronique n’avaient pas pour objectif de réduire les coûts d’organisation de ces scrutins. Cette possibilité reste d’ailleurs incertaine puisque le matériel informatique (hardware et software) a une durée de vie particulièrement courte, nécessitant de constants réinvestissements qui compensent la baisse du coût marginal. C’est sans doute pourquoi le chancelier d’État suisse Robert Hensler reconnaît que « le but de ce projet n’est [...] pas d’abaisser le coût des votations. Le retour sur investissement que nous en attendons se situe au niveau de l’image du canton et de l’administration ainsi que de la promotion des nouvelles technologies dans le canton » [56].
4. La sécurité technique des opérations de vote
La compétition électorale a toujours fait l’objet de tentations voire de tentatives de détournement [57]. L’appétit de pouvoir est de nature à éveiller ces comportements qui mettent en péril la stabilité politique en jetant le doute sur la légitimité démocratique. Aussi, les Etats doivent-ils porter une attention toute particulière à l’organisation des scrutins pour garantir la régularité de ceux-ci. Les bulletins de vote sont imprimés avec des mesures de précaution particulières, les urnes sont scellées, les bureaux de vote se trouvent dans des lieux publics en présence d’observateurs issus de tendances politiques diverses, enfin, ce sont des citoyens tirés au sort qui mettent en œuvre l’ensemble des opérations.
La perspective d’élections électroniques à distance transforme considérablement cette problématique de la sécurité. Cette question devient en effet un défi technologique plutôt qu’organisa-tionnel. L’enjeu est triple puisque, d’une part, il faut pouvoir garantir la confidentialité du vote à toutes les étapes techniques de la transmission, il faut se prémunir de toute intrusion dans le système et de toute altération des votes, enfin, il faut concevoir un système qui ne permette pas à l’électeur de prouver son vote à des tiers de façon à lutter contre la corruption des électeurs [58]. L’exigence de confidentialité des opérations de vote bénéficie des progrès technologiques de la cryptographie. Les systèmes de cryptographie asymétrique offrent en effet un niveau de sécurité appréciable pour le vote électronique. On notera toutefois qu’un système de cryptographie réellement efficace (couplé le cas échéant à un lecteur de carte magnétique ou à un procédé de reconnaissance biométrique) ne peut s’envisager sans, d’une part, un support informatique puissant et, d’autre part, des logiciels adaptés (notamment le browser) [59], ce qui pose la question de l’égalité de traitement entre les électeurs, puisque tous les citoyens ne possèdent pas le même environnement technologique. En tout état de cause, la cryptographie n’épuise pas la question de la sécurité car l’intrusion dans le système de vote électronique peut se faire en amont ou, au contraire, en aval de l’encryptage des données. Avant même que l’électeur ne crypte son vote pour le transmettre au serveur électoral, un hacker est susceptible de modifier le contenu du vote, ou de le rediriger vers un site tiers [60]. Il est même possible que l’électeur ne se rende pas compte qu’il est en train de voter sur un site factice frauduleux copiant en tout point le site électoral officiel mais ne transmettant qu’un type de vote déterminé [61]. Le phénomène des virus concerne également le vote électronique à distance puisque ces derniers peuvent entraver le bon déroulement des scrutins. Les virus informatiques peuvent procéder, à l’insu de l’électeur, à l’altération de son vote mais on peut également craindre que ces derniers soient conçus pour bloquer la plate-forme électorale dans son ensemble, rendant le scrutin impossible. Certains virus peuvent endommager sélectivement le matériel informatique de certains électeurs selon leurs préférences politiques (profilées à l’avance ou exprimées lors du vote lui-même). Ces virus peuvent avoir été mis au point et diffusés des semaines à l’avance (la propagation peut se faire par le biais de téléchargement de programmes anodins [62]) mais se déclarer le jour précis des élections pour un groupe d’électeurs déterminé [63]. Enfin, le serveur électoral peut être la cible d’un type d’attaque plus simple encore : le jamming. Il s’agit simplement de submerger le serveur de requêtes afin de congestionner le système de vote pour bloquer le scrutin [64].
Mais l’exigence de sécurité du vote électronique à distance ne porte pas seulement sur les actes malveillants, les risques de dysfonctionnement accidentel du système doivent être également pris en compte. On peut en effet imaginer les conséquences redoutables sur la vie d’un pays si les élections devaient être invalidées ou reportées à la suite d’une défaillance de la technologie. Il paraîtrait sans aucun doute présomptueux d’affirmer qu’une telle défaillance ne puisse être envisagée, aussi ce risque doit-il également peser dans la réflexion sur le vote électronique.
Ce risque que la technologie fait peser sur l’intégrité des scrutins électroniques à distance sont d’autant plus aigus que le citoyen est face à une technologie parfaitement opaque. Il y a un intermédiaire technologique entre le citoyen et son vote. L’électeur ne peut avoir de prise que sur des apparences. Aussi est-il important qu’un recompte des voix soit possible. L’accroissement des risques quant à l’intégrité du scrutin est susceptible d’engendrer une suspicion d’irrégularité. Celle-ci ne peut être levée que si l’on peut reprendre l’ensemble des opérations de décompte des voix. Une société américaine affirme que cette possibilité existe avec la technique appelée élection transcript. Schématiquement, il s’agit d’enregistrer l’ensemble des opérations de vote en un processus unique et continu de telle façon que la moindre altération de cet ensemble de données donnerait naissance à des incohérences intrinsèques à l’enregistrement [65]. Dans ce contexte, le recomptage des voix peut, selon cette société, s’effectuer de manière tout à fait fiable. On peut reconnaître la qualité technique du système proposé par cette firme, mais il faut aussi insister sur le fait qu’un tel mécanisme repose sur la fiabilité du programme et de ses programmateurs. S’il est possible de concevoir des logiciels qui détectent toute altération de l’enregistrement des données, il est également possible de pousser la complexité de la programmation jusqu’à concevoir que toute modification des données de vote corrige immédiatement l’enregistrement final pour lui restituer sa virginité initiale.
On le voit, la question de la sécurité cristallise des opinions divergentes. Certains choisissent en effet de croire en la toute-puissance des ingénieurs qui veillent à la conception de barrières de sécurité d’une complexité extrême [66]. Il est vrai que l’argument selon lequel le nombre journalier de transactions financières sécurisées plaide pour une confiance en la cryptographie moderne. Mais il faut garder à l’esprit que pour chaque expert qui travaille sur un système de sécurité électronique, un autre expert travaille sur les trous de sécurité de ce système. La complexité des protections est accrue mais il semble impossible, à l’heure actuelle, d’affirmer qu’un système de sécurité est parfaitement fiable. C’est la raison pour laquelle des voix s’élèvent pour considérer que les élections électroniques à distance ne disposent pas, à l’heure actuelle, malgré les progrès effectués, de protections technologiques suffisantes [67].
5. l’indépendance des électeurs : le lieu du vote
Le vote électronique en ligne sur un réseau ouvert permet aux électeurs de participer au scrutin hors d’un bureau de vote. L’informatique sort l’isoloir du bureau de vote et même sort le citoyen de l’isoloir. Si cela peut sembler anodin, il ne faudrait négliger les enjeux réels de cet élément.
Le bureau de vote remplit une fonction importante dans un scrutin : il permet un contrôle du déroulement de la procédure selon le prescrit de la loi. Le vote à domicile expose donc le scrutin à des irrégularités. Bien sûr, l’informatique constitue un moyen efficace de se prémunir des tricheries en utilisant des technologies avancées de cryptographie, mais en même temps l’informatique ne peut garantir une sécurité totale de ces techniques. Tout système peut être contourné à condition d’y mettre des moyens et du temps. Le vote à domicile rend difficile le contrôle de la régularité du scrutin.
Outre le bureau de vote, c’est l’isoloir qui disparaît avec le vote électronique. L’isoloir existe, cela va sans dire, pour garantir l’indépendance des électeurs. Le vote à domicile expose donc les citoyens à des pressions qui mettent en péril le fonctionnement démocratique d’un Etat. Ces pressions peuvent être le fait de l’entourage proche de l’électeur mais peuvent aussi résulter d’une réelle organisation frauduleuse. La pression peut s’exercer par voie électronique de façon automatisée (juste avant de voter vous recevez un courrier électronique orienté) voire même par une campagne systématique de porte à porte destinée à « encourager » le vote [68].
6. La dimension symbolique du vote
Sur un tout autre plan, on peut se risquer à croire que le vote à domicile désacralise le geste. Le fait de se déplacer vers le bureau de vote représente un investissement symbolique que le vote électronique en ligne supprime. Accomplir l’acte civique en tapant sur un clavier ou en maniant une souris à partir de son salon déritualise le vote [69]. Le bureau de vote lui-même est chargé de symboles qui rappellent le sens et l’importance du vote. On peut croire que la convergence de toute une communauté vers un lieu unique commun [70] participe au renforcement d’une identité collective qui se cristallise autour d’un scrutin. P. BRAUD n’écrit-il pas que « c’est le secret de l’isoloir qui facilite la fusion rassurante dans le groupe total » [71] et que « le fait d’aller voter, de remplir son devoir électoral, comme des millions d’autres bons citoyens, signe l’appartenance à la communauté [...], par la médiation de ce lien politique de la citoyenneté, à une patrie commune, une histoire, un vouloir-vivre et un avenir commun » [72]. Même si ce mouvement collectif pourrait trouver des correspondants dans le cadre d’un scrutin électronique, nous ne doutons pas que la pré-gnance symbolique sur l’identité politique des citoyens ne serait pas aussi importante dans le cadre d’une living-room cfemocracy [73]. Le seul fait de situer le vote dans le domicile ne peut être, à cet égard, innocent. Qu’un acte éminemment public - même s’il est secret, protégé dans l’isoloir - ait lieu dans la sphère privée comporte une contradiction qui désacralise quelque peu le vote. Or, on voit que cet acte, si bref et, il faut le reconnaître, si infinité-simalement significatif dans un scrutin, structure tout le système de nos démocraties représentatives. Par le contenu fantasmatique - remarquablement mis en évidence dans l’ouvrage de P. BRAUD [74] - qu’il charrie, le vote construit un Etat légitimement puissant et symboliquement soumis au citoyen dans un équilibre fait de tensions et de relâchements. Rompre la magie du vote en le rangeant aux côtés de tâches ménagères ne saurait être absolument sans conséquences.
Placer le vote, fût-ce seulement physiquement, dans l’espace privé conduit l’électeur à inclure celui-ci dans sa vie privée. Le glissement est d’importance car cela signifie qu’il n’a de compte à rendre à personne. En pratique, il est vrai que l’électeur, contrairement à l’élu, ne doit pas rendre compte de son vote, mais les conséquences de son geste appartiennent à tous, le bureau de vote est le lieu de rencontre entre la décision individuelle et la conséquence collective. Un bulletin de vote incivique [75] déposé dans l’urne au regard de tous n’est pas soumis à la même autocensure - produite par le regard des autres [76] - que le même vote électronique qui, lui, ne regarde personne puisque le respect du domicile est sacré [77]. Le bureau de vote réintroduit symboliquement la responsabilité collective dans le secret de l’isoloir.
Même un participationniste convaincu comme B. BARBER a bien compris le danger du vote à domicile puisqu’il estime que seules la recherche d’information et la délibération doivent avoir lieu au domicile des citoyens alors que le vote en lui-même requiert un lieu public ad hoc [78].
3 Conclusion
Le vote électronique est une innovation attrayante au vu des défis que nos systèmes démocratiques doivent relever. Cette modalité n’est pourtant pas sans poser problème.
En effet, d’une part, les bénéfices attendus par les promoteurs du vote électronique sont loin d’être garantis. Par exemple, les extrapolations des expériences pilotes ne permettent pas de croire à une durable augmentation de la participation électorale. De la même façon, la haute technicité des dispositifs et le caractère évolutif des technologies ne permettent sans doute pas de réduire le coût de tels scrutins.
D’autre part, les solutions apportées aux dangers du vote électroniques n’offrent pas de garanties absolues de validité des scrutins. Au mieux minimisent-elles les risques. Mais est-ce suffisant au regard des questions d’authenticité du vote, de vie privée, de fraude informatique ou encore de digital divide ? Peut-on accepter un scrutin pour lequel le contrôle citoyen doit passer par des experts techniciens mandatés par le ministère de l’Intérieur ? Ne doit-on pas s’inquiéter de l’opacité du vote et de l’impossibilité de faire un véritable contrôle a posteriori de la régularité des élections ?
Le vote électronique pose donc problème parce qu’il offre des bénéfices d’ordre logistique alors que les dangers sont d’ordre démocratique. La balance d’intérêt n’apparaît pas équilibrée lorsque les garanties de légitimité démocratique (le vote est secret, il est authentifié, correctement comptabilisé, avec un contrôle citoyen, et une possibilité de contrôle a posteriori) sont mises en péril pour gagner quelques heures de dépouillement et réduire le nombre de citoyens recrutés pour le scrutin.
La jurisprudence du Conseil d’État n’avait pas permis de répondre à ces interrogations, aussi est-ce avec une certaine impatience que l’on attend la décision de la Cour européenne des droits de l’homme saisie de ces questions.
[1] Maître de conférences à la Faculté de droit de Namur et avocat.
[2] Loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé, M.B., 24 avril 1994.
[3] L’article 5bis, § 2, alinéa 2, de la loi du 11 avril 1994, modifiée par la loi du 11 mars 2003, précise qu’ils peuvent « notamment vérifier la fiabilité des logiciels des machines à voter, la transcription exacte des votes émis sur la carte magnétique, la transcription exacte par l’urne électronique des suffrages exprimés sur le support de mémoire du bureau de vote, l’enregistrement exact du support de mémoire provenant du bureau de vote sur le support de mémoire destiné à la totalisation des votes, la totalisation des suffrages exprimés, la lecture optique des votes exprimés et le système de contrôle du vote automatisé par impression des suffrages émis sur support papier ».
[4] De premières expérimentations ont eu lieu dès 1985 dans le cadre d’un projet pilote.
[5] Il s’agit de l’association « Pour une éthique du vote automatisé », dont l’adresse internet est www.poureva.be.
[6] Ordonnance du président du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 septembre 2000 : « II apparaît évident, prima fade, que les droits garantis par l’article 25, b, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont incompatibles avec un système où les erreurs et les fraudes ne pourraient être détectées que par le pouvoir en place au moment des élections et non par des instances ou personnes indépendantes » ; l’ordonnance affirmait également qu’« au niveau des apparences de droit, il ne peut être considéré qu’un tel collège d’experts, élu par les majorités des assemblées soit une instance indépendante du pouvoir en place ».
[7] Proposition de loi du 20 avril 2000.
[8] Il s’agit de Vincent Van Quickenborne.
[10] Article 9 de la loi organisant le vote électronique.
[11] CE., 4 avril 2001, Elections communales d’Ixelles, n° 94.526, pp. 5 et 6 ; voir aussi CE., 2 février 2001, Elections communales de la Ville de Bruxelles, n° 92.957, p. 7.
[12] CE., 2 février 2001, Elections communales de la Ville de Bruxelles, n° 92.957, p. 8 ; l’arrêt se réfère au rapport du collège d’experts concernant les élections du 8 octobre 2000, doc. 0923/001 (Chambre) et 2-7/2 (Sénat).
[14] Loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, M.B., 30 juin 1994.
[16] CE., 20 février 2001, Elections communales de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, n° 93.410, p. 6.
[19] Article 7 de la loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé.
[20] Cette base a été utilisée par la plupart des citoyens qui se sont adressés au Conseil d’Etat.
[21] Ce Pacte, signé le 19 décembre 1966 et approuvé par la loi du 15 mai 1981, dispose que « tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : <<...>> de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ».
[22] Loi du 18 décembre 1998 organisant le dépouillement automatisé des votes au moyen d’un système de lecture optique et modifiant la loi du 11 avril 1994, M.8., 31 décembre 1998.
[23] Loi du 11 mars 2003 organisant un système de contrôle du vote automatisé par impression des suffrages émis sur support papier et modifiant la loi du 11 avril 1994, M.B., 28 mars 2003.
[24] Accessible sur le site www.poureva.be.
[25] L. PRATCHETT e.a., The implementation of electronic voting in the UK, Local Government Association Publications, 2002, p. 13.
[26] R. GlBSON distingue le « Remote internet Voting » du « internet Voting at thé Polling Place » ; au vu des risques spéci¬fiques à internet, nous ne comprenons pourtant pas l’intérêt de l’utilisation d’un réseau ouvert si le scrutin a lieu dans les bureaux de vote ; R. GlBSON, « Elections online : assessing internet voting in light of thé Arizona Démocratie Primary », Po/ifea/ Science Quarter/y, vol. 116, n° 4, 2001 -2002, p. 565.
[27] Une étude de KPMG/Sussex Circle Report estime pour sa part que le vote par téléphone est le système de vote à distance le plus fiable eu égard à la très large diffusion du téléphone. Ils reconnaissent pourtant que des problèmes importants subsistent : problème de la langue de l’électeur, des électeurs sourds et de la subsistance de large part des anciens téléphones sans touches mais à « roulette » ; KPMG/ Sussex Circle Report, « The feasibility of electronic voting in Canada », Electoral Insight, 2000, p. 3.
[28] L. PRATCHETT e. a., op. cit., p. 8.
[29] T. BECKER, C.D. SLATON, The future of fe/edemocracy, Preager Publisher, 2000, pp. 77 et s.
[30] B. ROTHKE, « Don’t stop thé handcount : a few problems with Internet voting », Computer Securify Journal, vol. XVII, n° 2, 2001, p. 14.
[31] On peut citer parmi d’autres : election.com, trueballot.com, votehere.net, eballot.com, iballot.com, safevote.com, election-solutions.com.
[32] Délibération de la C.N.I.L. n° 02-022 du 2 avril 2002 relative à la demande d’avis présentée par la mairie de Vandœuvre-les-Nancy concernant l’expérimentation d’un dispositif de vote électronique par internet à l’occasion de l’élection présidentielle.
[33] M. WARYNSKI, « Overview of thé technical problems related thé E-voting project of thé Canton of Geneva », in Y. MENY, A.H. TRECHSEL, E-vofing and thé Européen parl/amenfary élections, à paraître.
[34] A. ALABAU, J. BENEDITO, « An engineering approach to internet voting Systems. Reflections from a Européen région », in Y. MENY, A.H. TRECHSEL, E-vofing and thé Européen par/iamentary élections, à paraître.
[35] C.A. NEFF, « The business of electronic voting, Financial cryptography 2001 e-voting Panel », 2001, http://www.vote-here.net, p. 5.
[36] B. ROTHKE, « Don’t stop thé handcount : a few problems with Internt voting », Computer Security Journal, vol. XVII, n° 2, 2001, p. 13.
[37] D. MORRIS et G. DELAFON, Vote.com - Electeurs, demain grâce à internet, vous détiendrez le pouvoir, Pion, 2002, p. 58.
[38] A.H. TRECHSEL, R. KlES, A. AUER, N. VON ARX, Voter par internet ?- Le projet e-voting dans le canton de Genève dans une perspective sociopolitique et juridique, Helbing & Lichtenhaln, 2001, p. 34.
[39] A.H. TRECHSEL, R. KIES, A. AUER, N. VON ARX, op. cit., p. 27.
[40] A.H. TRECHSEL, R. KIES, A. AUER, N. VON ARX, op. cit., p. 29.
[41] Bien qu’ils puissent voter dans les postes diplomatiques, voire par correspondance.
[42] Voy. par exemple A.H. ÎRECHSEL, R. KlES, A. AliER, N. VON ARX, op. cit., p. 60.
[43] C. BiGAUT, « Dépouillement », in P. PERRINEAU ET D. REYNIÉ, Dictionnaire du vote, RU.F., 2001, p. 292.
[44] Internet Policy Institute, Report ofthe National Workshop on internet Voting /ssues and researcfi agenda, I.RI., 2001, p. 27.
[45] C’est l’opinion des requérants d’un arrêt du Conseil d’État belge : arrêt n° 93.325 du 16 février 2001. Le Conseil d’Etat rappelle dans son arrêt que « Les requérants estiment qu’une confiance aveugle en l’informatique est une pétition de principe qui a pour corollaire l’obligation de faire totalement confiance aux experts ; que, pour eux, un expert n’est pas " par essence une personne de confiance et, s’il ’ devient détenteur d’un pouvoir de décision en matière électorale, le rôle du citoyen et celui de ceux qui sont chargés d’accompagner le processus pour lui garantir un caractère honnête et secret, est faussé ’ ; (...) qu’ils ajoutent que ’ le contrôle professionnel ne peut être apparenté au contrôle démocratique qui est inexistant pour cette façon de voter ’ et concluent que l’absence de transparence, de contrôle effectif et l’abandon à des experts non indépendants dans l’ensemble du processus permettent à eux seuls que soient annulées lesdites élections communales " ». Le Conseil d’État n’a pas annulé les élections.
[46] Le système du ticketing est à cet égard intéressant dans le cas du vote électronique en bureau de vote. Chaque vote émis électroniquement est imprimé sur papier et conservé dans une urne. Le décompte ne concernera que les votes électroniques mais en cas de doute, il sera possible de procéder à un dépouillement des bulletins papier.
[47] Idem, note 45.
[48] Cet argument a déjà été développé au Sénat belge par C. Nyssens lors de la discussion d’une modification de la loi sur le vote automatisé, le 20 juillet 2000 : « Permettre à l’électeur de visualiser son vote après avoir voté ne lui apporte rien sur le plan de la confiance puisque, d’une part, il peut y avoir sur la carte un autre vote, qu’on ne lui montre pas, et que, d’autre part, la carte magnétique peut parfaitement être altérée par la suite, par l’urne électronique ». Cette discussion porte sur le vote électronique dans les bureau de vote, hors ligne.
[49] E. LULIN, « Le vote par internet », Journal de l’Atelier, n° 68, Paradigmes, 2000, p. 10.
[50] C’est le cas du Brésil qui a fait reculer la fraude lorsque 1,09 millions d’électeurs ont voté en octobre 2000, cf. Forum des droits sur l’internet, recommandation « Quel avenir pour le vote électronique en France », 26 septembre 2003, p. 18.
[51] E. LULIN, op. aï., p. 11.
[52] Ibidem, p. 13, citant la commission des finances du Sénat (ministère de l’Intérieur).
[53] W. BEAR, Signing initiative pétitions online : possibilities, problems, and prospects, Public Policy Institute of Californie, 2001, p. 10.
[54] Chiffres mentionnés par D. OTTEN, du projet Cybervote, « Le bulletin dans le modem », Le Monde, 9 juin 1999.
[55] KPMG/Sussex Circle, Technology and thé voting process, Elections Canada, 1998, p. 56. Ce chiffre, incluant dans sa base de calcul toutes les dépenses enregistrées, est une moyenne des prix par électeurs pour les élections générales de 1993 et 1997, c’est-à-dire respectivement 1,45 CAD et 1,54 CAD.
[56] R. HENSLER, « Chances et défis du vote par internet », intervention au séminaire Arthur Andersen « e-government » du 10 décembre 2001 à Berne.
[57] Un Etat tel que la France n’est pas à l’abri des tentatives de fraude ; en témoigne le nombre de litiges portés devant les juridictions électorales : 213 en 1993 pour les élections législatives. O. IHI, Le vote, Ed. Montchrestien, coll. Clefs politiques, 1996, p. 98. La France s’est découvert des fraudes électorales basées sur de faux électeurs, alors que les États-Unis suspectent des détournements de bulletins lors du recompte des voix aux élections de 2000.
[58] T. VEDEL, « Le vote électronique », in R PERRINEAU ET D. REYNIÉ, Dictionnaire du vote, RU.F, 2001, p. 403.
[59] J. ADLER, Security versus compatibility in onine élections, 2000, p. 1, http://votehere.net/whitepapers/securityvscomp.html.
[60] A. RUBIN, Securiry cons/deraf/ons for remote e/ecfronic voting over thé internet, 2000, p. 3, http://avirubin.com/e-voting.security.html.
[61] Cette technique porte le nom de mon in thé middle ; E. LULIN, « Le vote par internet », Journal de l’Atelier, n° 68, Paradigmes, 2000, p. 17.
[62] On appelle ce type de virus « cheval de Troie », A. RUBIN, op. cit., p. 6.
[63] A. RUBIN, op. cit., p. 4.
[64] Sur la question de la sécurité, voy. aussi le forum des droits sur l’internet, recommandation « Quel avenir pour le vote électronique en France », 26 septembre 2003, pp. 12-13.
[65] C. ANDREW NEFF, Recounting an electronic élection - What does it meon ?, 2000, http://www.votehere.com.
[66] C. LUCHETTA-STENDEL, « The e-vote : a proposai for an interactive fédéral,government », Journal of Computer & Infor¬mation Law, vol. XVII, 1999, pp. 1126-1127.
[67] C’est l’avis de A. RUBIN, qui écrit que « given thé current state of widely
deployed computers in peoples’ home, thé vulnerability of thé internet to déniai of service attacks, and thé unreliability of thé Domain Name Service, we believe that thé technology does not exist to enable remote electronic voting in public élections », in A. RUBIN, op. cit., p. 10.
[68] « Encourager » ou « aider » les citoyens peu familiers des technologies.
[69] Y. PAPADOPOULOS, Démocratie directe, Economica, 1998, p. 196 ; l’auteur ajoute que « la déritualisation de l’acte de vote, couplée à la privatisation encore plus forte des choix - chez soi - et à l’absence d’améliorations substantielles en matière de qualité des délibérations ne présage rien de bon quant aux " ressources morales " qui seront mobilisées par les acteurs. Déjà que l’électeur ne doit rendre de compte à personne... ».
[70] Il existe évidemment de très nombreux bureaux de vote mais ils sont symboliquement identiques.
[71] P. BRAUD, Le suffrage universel contre la démocratie, RU.F, 1980, p. 137.
[72] R BRAUD, op. cit., p. 139.
[73] S. RODOTA, Tecnopolit/ca, La democrazia e le nuove tecnologie délia communicazione, Sagitta Laterza, 1997, p. 61. L’auteur ajoute que la living room democracy a également une incidence sur la délibération lorsqu’il écrit : « Privata del confronta e délia communicazione reciproca, circoscritta al gioco délia demanda e délia riposta, la nuova demo¬crazia di massa assumera i caratteri di una living room democracy, di una soffocante democrazia del tinello ».
[74] R BRAUD, op. cit., RU.F, 1980, spécialement le chapitre III, « Les exigences fantasmatiques de l’électorat », pp. 123 et s.
[75] Par l’expression « vote incivique » nous voulons parler soit des votes qui seraient guidés par un intérêt personnel plutôt que par un souci de justice sociale soit un vote en faveur d’un fonctionnement antidémocratique de la collectivité.
[76] Y. PAPADOPOULOS estime que l’isoloir « peut aussi donner libre cours aux choix les plus utilitaires et les moins solidaires » parce qu’il permet aux électeurs de ne pas rendre compte de leur vote. Il nous semble que ce phénomène est largement compensé par la garantie d’indépendance qu’offre l’isoloir ; ce n’est pas le cas pour le vote électroni¬que à domicile. Y. PAPADOPOULOS, op. cit., 1998, p. 131.
[77] L. SCHEER parle de cocoon/ng électron/que : « il faut comprendre, dit-il, que nous n’avons pas affaire à une cité, à un village global, mais à une maison, au foyer du cocoon/ng électronique. Les perspectivistes nous l’ont fait savoir, notre destin collectif est de nous barricader derrière les murs de notre maison, à l’abri du stress, des agressions et des maladies », in L. SCHEER, op. cit., 1994, p. 64.
[78] B. Barber, Stong democracy, University of California Press, 1990, p.56