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03/03/2005: Parlement Bruxellois, Commission Affaires Intérieures, Interpellation de Mme Julie Fiszman à M. Charles Picqué


Interpellation de Mme Julie Fiszman à M. Charles Picqué, Pinistre Président du gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale, chargé des pouvoirs locaux, de l’aménagement du territoire, des monuments et sites, de la rénovation urbaine, du logement, de la propreté publique et de la coopération au développement, concernant "le vote électronique lors des élections communales".

M. le président.- La parole est à Mme Fiszman.

Mme Julie Fiszman.- Vous n’ignorez pas que la Belgique est l’un des premiers pays à s’être lancé dans des expérimentations de votes automatisés dans le cadre d’élections publiques. Ainsi, sur la base de la loi du 11 avril 1994, les élections de 1994 ont été le terrain de premières expérimentations in situ. A l’origine, seules quelques communes avaient été sélectionnées pour lancer l’expérience, mais la procédure a été rapidement étendue à une partie très significative des circonscriptions électorales. Ainsi, en 2000, près de 40% des électeurs ont voté via un ordinateur. Les élections législatives de 2003 ont encore fait progresser le vote automatisé. Au regard de cette progression, on peut craindre que des aspects très pratiques priment à ce stade sur des questions importantes d’ordre démocratique. Derrière le vote automatisé se cache en effet une véritable polémique citoyenne doublée de décisions de jurisprudence assez provisoires. On sait qu’une association de citoyens s’est constituée pour s’opposer au vote automatisé tel que pratiqué en Belgique. On sait également qu’avant d’être contredit au fond, un magistrat a estimé au provisoire que le vote automatisé n’était pas conforme à l’article 25b du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966. En outre, on a vu lors des dernières élections législatives de 2003 certains citoyens refuser de voter via un ordinateur.
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On connaît les actions portées devant le Conseil d’Etat belge et l’affaire actuellement pendante devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.

En ce qui concerne les critiques émises sur la procédure de vote électronique telle que pratiquée lors des dernières élections, je renvoie au rapport du Collège d’experts chargé du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés portant sur les élections du 13 juin 2004, qui a été déposé le 28 juin 2004 sur le bureau du parlement fédéral, au caractère incisif de ces constats et recommandations et au débat du parlement fédéral sur la question.

Il n’est pas nécessaire ici de développer les nombreux problèmes par rapport aux garanties de légitimité démocratique que pose le vote électronique, que ce soit en matière de contrôle citoyen du processus électoral, de possibilités de contrôle a posteriori de la régularité du vote, de garantie du secret du vote et de sécurité technique des opérations des votes.

La haute technicité des dispositifs et le caractère évolutif des technologies ne permettent sans doute pas de réduire le coût de tels scrutins. Le seul bénéfice du vote automatisé serait dès lors le gain de quelques heures de dépouillement et de réduction du nombre de citoyens recrutés pour le scrutin. Cela pose aussi question par rapport aux racines réelles du désintérêt de la population à participer au processus électoral. Il serait responsable de se poser un telle question. J’en viens à l’essentiel de mon interpellation : sous la législature précédente, à l’occasion de la discussion sur une proposition de résolution déposée par M. Riguelle, les membres de notre parlement, tous partis démocratiques confondus, ont émis de vives critiques par rapport à la procédure de vote automatisé. Pour le groupe socialiste en particulier, l’Etat n’est pas censé faire confiance aux firmes privées chargées de facto de l’organisation du vote électronique et le citoyen n’est pas censé faire confiance à l’Etat quand il organise des élections, alors même que, en général, il est partie prenante dans la procédure électorale.

Le vote électronique pose problème. Si ses avantages sont d’ordre logistique, ses désavantages sont d’ordre démocratique. Il est essentiel que la transparence soit assurée dans la procédure de vote automatisée. Cela implique que le contrôle démocratique populaire des résultats électoraux soit rendu possible. Or, depuis la réforme institutionnelle du Lambermont, la Région est compétente pour l’élection des organes communaux.

La Région peut-elle décider du mode de scrutin pour les élections communales de 2006 ? Quel est l’état d’avancement de votre réflexion concernant les éventuelles possibilités de renoncer à la procédure de vote automatisée ? Avez-vous eu des contacts avec vos homologues flamands et wallons à ce sujet, ainsi qu’avec votre collègue du fédéral ? Quelles seraient les possibilités de recourir au système de dépouillement par lecture optique ?

A combien estimez-vous le coût du vote électronique dans les 19 communes bruxelloises ?

Votre prédécesseur vous a-t-il transmis cette information ? Quel est le coût supplémentaire que représenterait le remplacement du système actuel par un système plus fiable, afin de répondre aux recommandations du collège des experts ? Dans l’hypothèse du maintien du vote automatisé, quels seraient les moyens mis en oeuvre pour remédier à l’appréhension qu’éprouve une partie du corps électoral face à ce mode de scrutin ? Etant donné l’obsolescence du parc informatique affecté au vote électronique dans certaines communes, qui prendra en charge le coût engendré par l’éventuel renouvellement de ce matériel, pour l’organisation des élections communales de 2006 ? Quel est, à ce stade, l’état d’avancement de votre réflexion concernant les mécanismes de simplification à mettre en place pour les élections communales de 2006, dans l’hypothèse du maintien du vote automatisé ? Allons-nous vers une simplification des écrans tactiles, vers le vote papier ou le recours au système par lecture optique, insuffisamment débattu à ce stade ?

M. le président.- La parole est à Mme Delforge.

Mme Céline Delforge.- En octobre 2006 aura lieu le prochain scrutin communal. A la suite des dernières réformes institutionnelles, la Région sera chargée de l’organisation du scrutin. Déjà lors des derniers scrutins organisés, nous avons vu l’introduction du vote automatisé. L’adoption de ce système a suscité de nombreuses questions, autant parmi la population qu’au sein du parlement fédéral, sans qu’un débat plus approfondi ne soit organisé en vue d’une évaluation du système. Cette situation paraît d’autant plus incongrue que c’est à titre expérimental et provisoire que le vote électronique avait été introduit en 1991. Malgré tout, ce qu’il faut bien qualifier d’expérience toujours en cours a mis en évidence plusieurs problèmes. Premièrement, la complexité de la technologie utilisée rend inévitable le recours à des firmes privées dont le premier objectif est le profit et non la garantie du système démocratique. Deuxièmement, l’administration ne dispose pas du personnel compétent pour effectuer les contrôles relatifs à la sécurité et à la qualité des machines utilisées.

Troisièmement, on a beaucoup parlé de gain de temps grâce au vote automatisé. Or, l’expérience nous a montré de nombreuses files d’attente devant les bureaux de vote. Pour le citoyen, il faut quelque peu relativiser ce gain de temps. Quatrièmement, plusieurs incidents se sont produits, comme cette candidate à Schaerbeek qui avait obtenu plus de voix de préférence que l’ensemble de sa liste. D’autres incidents ont également eu lieu à Anvers. Sur cette base, on peut s’interroger sur la fiabilité du système. Enfin, dernière nouveauté, il faudra changer et renouveler une partie non négligeable du parc d’ordinateurs utilisé pour les scrutins. Or, d’après l’actuel ministre de l’Intérieur, le coût des scrutins automatisés est déjà à la base deux à trois fois supérieur à celui du vote papier. Si l’on suit les recommandations du collège d’experts chargé du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisé, le système actuel devrait être remplacé par un système plus fiable et accompagné d’audits. Ce coût serait dès lors encore plus élevé.

Ces multiples constats conduisent à s’interroger sur la rationalité qui dirigerait la décision de conserver la technologie actuelle, qui est à la fois coûteuse, vraisemblablement non fiable et qui privatise de facto l’exercice d’un droit démocratique fondamental, le droit de vote et le contrôle des processus électoraux. S’il se confirme que la Région est bien compétente pour prendre en charge l’organisation des élections communales, envisagez-vous de profiter du nécessaire renouvellement du parc informatique consacré au scrutin électronique pour étudier le recours à un système simple, fiable et qui garantirait aux citoyens la possibilité d’exercer leur contrôle sur le processus électoral ?

M. le président.- La parole est à M. Riguelle.

M. Joël Riguelle.- Je ne pouvais être absent du débat puisque j’ai eu l’occasion de déposer en 2001 cette résolution dont parlait Mme Fiszman. Nous avons été récemment réinterpellés par un collectif qui est préoccupé par l’utilisation de ce type de vote qui, il est vrai, a connu un certain nombre d’incidents. On est forcément partagé entre le fait de gagner du temps et de privilégier l’aspect pratique quand on voit les grands "draps de lit" que représentaient les bulletins de vote à un certain moment dans les isoloirs.

Par ailleurs, il est vrai que j’ai assisté encore récemment à des dépouillements, notamment dans le canton d’Anderlecht, où les assesseurs étaient totalement absents. Il n’y avait que des témoins politiques. Sans doute cet aspect a-t-il joué dans le choix du scrutin automatisé.

Très habilement, le collectif en question a fait référence au coût en matière d’investissements pour le renouvellement éventuel du parc d’ordinateurs, surtout pour les finances communales, ce qui n’a pas manqué d’alerter l’ensemble des responsables locaux. Je suis sûr que le ministre-président sera aussi sensible à cette interpellation sur les investissements que cela représente.

Le débat est fondamental. D’où cette résolution déposée en 2001, qui n’a pas connu un grand succès ni en commission ni en séance plénière, où elle a été rejetée. Par contre, dans le rapport de la commission, tout le monde semblait abonder dans le même sens en disant qu’il y avait un problème.

Mais ce n’était pas le moment de voter une résolution, surtout émanant d’un membre de l’opposition. Cependant, le problème reste pendant en termes de contrôle démocratique. Indépendamment des problèmes qui avaient préoccupés la classe politique au lendemain des élections de 1999 et 2000, où des premiers incidents étaient survenus, mettant en cause la fiabilité du système, le véritable souci est la capacité du citoyen à contrôler les opérations. Tout s’automatise, tout devient informatique, compliqué. Le citoyen lambda a une capacité de contrôle relativement limitée. Dans le document du Sénat, j’ai repris une phrase qui me semblait assez évidente. La critique fondamentale que l’on peut formuler à l’égard du vote électronique, c’est "l’absence de transparence pour l’électeur. Son vote est digitalisé, converti dans des champs magnétiques invisibles sur des disquettes et des cartes magnétiques." Cela échappe à une grande majorité de nos concitoyens.

Dans les développements de ma proposition de résolution, je rappelais qu’une solution susceptible de donner à l’électeur la possibilité de contrôler l’exactitude de la transcription de son vote était l’installation dans chaque isoloir d’une imprimante qui produirait un document qui serait déposé dans une urne classique. C’est ce qu’on appelle communément le ’ticketing’. Notre volonté - et la mienne - n’est pas de faire marche arrière par rapport à un progrès technologique. Cela n’irait pas dans le sens de l’histoire. Toutefois, le regard citoyen sur un moment aussi important de notre démocratie est important. C’est dans ce sens que je voulais intervenir aujourd’hui, sans oublier l’aspect financier, qui n’aura échappé à personne.

M. le président.- La parole est à M. Picqué.

M. Charles Picqué, ministre-président.- En novembre 2004, un groupe de travail réunissant des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de la Région se penchait sur la question. Concernant le système de vote automatisé, la question se pose : qui est compétent et quelle est la détermination exacte de la compétence régionale en la matière ?

La loi de 1994, qui organise le vote automatisé, s’applique à l’ensemble des scrutins. Elle confie au Roi certaines missions dont la détermination des cantons pour lesquels le vote automatisé est organisé, la fourniture des logiciels électoraux et des supports nécessaires au comptage et à l’enregistrement des votes, le mode et le taux de financement du matériel pour le vote automatisé. Les 19 communes bruxelloises, réparties en 8 cantons, sont équipées de systèmes agréés, contrôlés, financés en partie par l’autorité fédérale qui les a désignés. La Région doit tenir compte du fait que ces systèmes de vote sont utilisés pour les élections législatives, régionales, et européennes. ll serait malencontreux que l’autorité fédérale et les Régions obligent les communes à acquérir des systèmes différents selon les scrutins, lesquels peuvent, en outre, se dérouler simultanément. L’hypothèse d’un retour au vote manuel ne pourrait raisonnablement être envisagée pour un seul type de scrutin. Le même système de vote devrait être adopté pour l’ensemble des scrutins. Nous sommes en contact avec le ministre de l’Intérieur pour déterminer une attitude cohérente pour les élections communales. En fonction de la réponse à la question des compétences, un accord de coopération pourrait être conclu pour essayer de régler le problème.

Ce débat a lieu depuis plusieurs années au sein du parlement fédéral et dans notre assemblée. Il devrait guider les choix à prendre le cas échéant par le ministère de l’Intérieur et la Région. Les parlements doivent continuer leurs interrogations sur le sujet et épuiser le débat.

Des expériences sont envisagées en matière de vote par lecture optique ou de ticketing - un ticket que l’on reçoit après le vote. L’autorité fédérale a jugé que les systèmes proposés n’étaient pas très satisfaisants et que les besoins de transparence, d’accessibilité des systèmes de vote pour la population demeuraient entiers. A ce stade, on n’a pas trouvé la formule miracle.

Il n’est ni opportun ni possible que la Région prenne des initiatives isolées dans ce domaine, sans assurer une collaboration sérieuse avec le fédéral. La loi fédérale prévoit actuellement que le renouvellement éventuel du matériel utilisé est à charge des communes concernées, avec une intervention du fédéral couvrant 20% des dépenses d’investissement.

Certaines communes disposent de ce matériel depuis plus de dix ans et devraient donc le remplacer à court terme. Avant de consentir à des dépenses potentiellement importantes pour acquérir des systèmes qui seront utilisés pour les dix années à venir, il conviendrait de déterminer les orientations à suivre en matière de vote. A mon avis, ces orientations devraient être identiques pour tous les types d’élections. Sinon nous aurons des débats impossibles sur la légitimité de chaque scrutin.

A mon sens, la Région ne peut prendre aucune mesure qui imposerait des charges supplémentaires aux communes sans les libérer de celles qui pèsent déjà sur elles pour les élections législatives, régionales et européennes. Tout est dans tout : il faut que le débat ait lieu au fédéral et dans les assemblées, qu’on confronte les points de vue et qu’il y ait des accords de coopération avec le ministère de l’Intérieur, et qu’un système de vote uniforme valable pour tous les scrutins soit décidé. Je ne sais pas si on pourra conclure ces débats parlementaires avant les élections communales. J’en doute, d’autant que si on le fait, il faut en mesurer les effets et les conséquences. Mme Fiszman, cela coûterait environ 3 à 4 millions d’euros aux communes qui doivent encore faire l’effort financier. Il n’y a pas de contacts avec les Flamands et les Wallons, puisque la discussion est coordonnée au niveau fédéral. En attendant que ce débat y soit achevé, rien ne nous empêche de le poursuivre dans cette assemblée, puisque l’avis des assemblées sera certainement sollicité ultérieurement par le fédéral. Soyons prêts à répondre à une éventuelle invitation du fédéral. La question pourrait être tranchée en comité de concertation, surtout si les avis sont divergents. Il faut plaider en faveur de cette coordination avec le fédéral et de l’uniformité des systèmes de vote.

M. le président.- La parole est à Mme Fiszman.

Mme Julie Fiszman.- J’entends bien que beaucoup d’éléments en la matière dépendront des initiatives du fédéral. Néanmoins, nous ne manquerons pas de faire valoir nos positions. Je suis d’accord qu’ un système uniforme semble préférable, mais il ne s’agit certainement pas de renoncer à mener ce débat sur des questions hautement démocratiques. Cela n’empêche pas que nous essayions de toutes nos forces d’influencer ces positions au sein du parlement bruxellois, jusqu’à ce qu’elles aboutissent.

M. le président.- La parole est à Mme Delforge.

Mme Céline Delforge.- Je remercie M. le ministre-président et j’espère que nous aurons de nouveaux débats dans cette enceinte, dans la perspective d’un changement de système.

- L’incident est clos.

Référence : http://www.weblex.irisnet.be/crb/quest3.asp?moncode=105574