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Pourquoi nous refusons le vote électronique

Une position de principe ...


... Or, avec le vote électronique, les électeurs ne sont plus en mesure de surveiller les élections car le système de vote automatisé introduit cet intermédiaire incontrôlable sous diverses formes et à diverses étapes. Voyons lesquelles ...

En Belgique, nous avons choisi de vivre dans une démocratie représentative. Ceci signifie que la grande majorité des citoyens de ce pays ne participe pas directement aux décisions politiques car détenteurs de la "souveraineté populaire", ils délèguent leur pouvoir, par le système des élections, à des représentants qu’ils choisissent pour quatre, cinq ou six années. Le seul moment où les citoyens détiennent véritablement le pouvoir politique est donc le jour des élections, instant crucial au cours duquel ils choisissent les personnes qu’ils jugent les mieux à même de les représenter et de défendre leurs intérêts, individuels ou collectifs. Ce moment doit se dérouler sous la totale maîtrise des électeurs. Il ne peut donc y avoir d’intermédiaire incontrôlable par les citoyens lorsqu’ils expriment leur vote.

Or, avec le vote électronique, les électeurs ne sont plus en mesure de surveiller les élections car le système de vote automatisé introduit cet intermédiaire incontrôlable sous diverses formes et à diverses étapes. Voyons lesquelles.

Notre "bulletin magnétique" est-il vierge ?

Pour exprimer notre choix, nous recevons un bulletin de vote magnétique sous forme d’un objet semblable aux cartes bancaires. Le président du bureau de vote initialise notre carte avant de nous la confier, ce qui revient à y inscrire un vote blanc. Elle détient donc des informations que le citoyen ne voit pas. Est-ce la seule information qui s’y inscrit ? ON nous dit que oui mais nous ne pouvons en être certain car nous ne voyons rien. Dans le cas du bulletin papier, nous pouvons le vérifier sans difficultés.

Notre vote, et rien que lui, est-il bien sur notre carte magnétique ?

Nous désignons notre (nos) candidat(s) au moyen d’un crayon optique et notre choix s’affiche sur un écran. Lorsque nous "validons" notre choix, sommes-nous certains qu’il s’inscrit sur la carte magnétique que nous avons introduite dans la fente prévue à cet effet ? Comment pourrions-nous en être sûrs puisque nous ne voyons rien. Sommes-nous certains que ce soient les seules informations qui s’enregistrent ? Pas plus.

ON nous dit que nous pouvons réintroduire notre carte dans la machine, mais la relit-elle réellement ou a-t-elle gardé nos gestes en mémoire ? Nous voulons la faire lire par une autre machine ? La loi ne vous y autorise pas. Lorsqu’il s’agit d’une opération bancaire, nous pouvons vérifier l’exactitude de l’opération à posteriori, par la lecture des mouvements effectués sur notre compte. Dans le cas des élections, c’est impossible : le vote est (théoriquement) secret.

L’urne électronique ne modifie-t-elle pas notre vote ?

Lorsque nous pensons avoir voté, nous reprenons notre bulletin magnétique et nous l’introduisons dans une urne électronique. Cette machine dispose d’un logiciel sensé lire notre bulletin de vote. Sommes-nous certains que cette machine lit notre carte et ne modifie en rien ce qui (en principe) y est enregistré ? Nous n’en savons rien. ON nous dit que oui mais nous ne sommes pas en mesure de le vérifier.

Qui surveille encore les dépouillements ?

Avec le vote électronique, il n’y a plus de dépouillement. Ce sont des machines qui décodent les disquettes provenant des urnes électroniques. Tout cela dans la plus parfaite opacité : personne ne voit rien, ce sont les machines qui opèrent. Dans le cas du vote papier, les bulletins sont comptés, triés et dépouillés, par des citoyens sous la surveillance d’autres citoyens.

Qui garantit le bon fonctionnement de ces systèmes ?

Le législateur a confié la lourde tâche de vérifier le bon fonctionnement des élections aux présidents des bureaux de vote, aux assesseurs et aux témoins des partis. Depuis l’introduction du vote électronique, aucune de ces personnes n’est en mesure d’affirmer que tout s’est déroulé correctement, car ce sont les machines qui opèrent. Si une machine tombe en panne, le président du bureau de vote fait appel à un technicien d’une firme privée désignée à cet effet. Qui peut affirmer qu’aucun vote ou décompte n’est modifié lors de cette intervention ?

Le législateur a bien décidé que 9 experts au plus, désignés par les diverses assemblées parlementaires du pays, surveilleraient l’ensemble des opérations électroniques avant et pendant les élections. Neuf personnes pour tout le pays ! A vérifier quoi ? Dans leur rapport concernant les élections de juin 1999, ces experts constataient que, dans la pratique, seuls les techniciens des firmes privées qui ont installé les systèmes étaient en mesure de les contrôler efficacement[i], constatation qu’ils réitéraient dans leur rapport concernant les élections communales d’octobre 2000[ii].

Peu importe ! Le maître mot du législateur n’est plus de contrôler ni de surveiller le bon déroulement des opérations mais bien de rassurer l’électeur. Votez bien bonnes gens, ON s’occupe de tout.

Quelle confiance pouvons-nous encore accorder aux opérations électorales ?

Lors des élections législatives et européennes de juin 1999 et des élections communales et provinciales d’octobre 2000, 44% des électeurs (dont tous ceux de la région bruxelloise) ont été soumis au système du vote et du dépouillement automatisés. Nous avons vu que ce système, progressivement mis en place dans notre pays depuis 1991, prive les électeurs de toute possibilité de contrôle des opérations de vote : ils doivent faire confiance aux machines et aux techniciens qui ont mis au point le système et le contrôlent, des phases préélectorales à la totalisation des résultats, en passant par le vote lui-même, qui est supposé s’inscrire sur une carte magnétique dont seule une machine peut décrypter le contenu.

Dans quelle mesure pouvons-nous encore être certains que tous les représentants élus depuis 1999, le sont par la seule volonté de l’électeur ? Et même si les experts désignés par les parlements contrôlaient efficacement les systèmes informatiques utilisés, il n’en resterait pas moins que la grande masse des électeurs se verrait toujours dépossédée de toute possibilité de contrôler elle-même les élections.

Et c’est bien là le fond du problème : il n’y a plus en Belgique de contrôle citoyen des élections ni de secret du vote !

Notre pays a ainsi le triste privilège de constituer un banc d’essai en matière d’automatisation des opérations électorales. Les sociétés commerciales du secteur de l’informatique dirigent d’ores et déjà leurs opérations de lobbying vers la Commission européenne et la Suisse.

Quel que soit le niveau de pouvoir auquel il s’applique, le système du vote électronique revient à vider de son sens la démocratie (pouvoir au peuple) et à la remplacer par la technocratie (pouvoir aux techniciens). Nous ne l’admettons pas. Tout comme ne l’admet pas un nombre croissant de citoyens qui, depuis 1994, manifestent leur opposition au vote automatisé par divers moyens (pétitions, conférences-débats, interventions auprès des parlementaires, articles de presses, distribution de tracts, campagnes d’affichage, actions en justice,...)[iii].

Face à l’immobilisme du pouvoir législatif en la matière, certains d’entre eux ont, à diverses reprises, porté plainte en justice.

- En 1997, une personne a demandé de pouvoir s’assurer par elle-même de la fiabilité du système informatique mis en place pour les élections. Pour ce faire, elle a demandé de pouvoir disposer de tous les documents utiles à cet effet, notamment le logiciel, afin de pouvoir s’assurer que n’existe aucun risque de fraude ou de manipulation des résultats du vote. Le Ministre de l’Intérieur lui a refusé cet accès à l’information. Il a fallu 4 ans pour que le Conseil d’Etat annule cette décision et prie le Ministre de respecter l’obligation de publicité portant sur l’ensemble du logiciel, y compris les codes sources et les mesures de sécurité : "(..) en effet, le citoyen serait toujours fondé à redouter que dans la partie de logiciel qui serait soustraite à sa consultation pour un motif allégué de sécurité, se dissimulent en réalité des mécanismes propres à altérer le résultat du scrutin"[iv]

- En 1999, cinq citoyens demandaient réparation à l’Etat, à la Chambre et au Sénat, pour avoir organisé des élections suivant un système opaque. La Cour d’Appel de Bruxelles a admis que :

  • "... il convient de répéter qu’il ne peut être exclu que les craintes des demandeurs puissent, dans un contexte non démocratique et entre des mains peu honnêtes et mal intentionnées, déboucher sur une situation de fraude sans doute moins aisément décelable..."
  • "... il est indéniable que les demandeurs sont animés par le souci louable et légitime d’obtenir la garantie que notre système électoral fonctionne de manière démocratique ; "
    "... leur demande est sous-tendue par un esprit de citoyenneté responsable qu’il convient d’approuver sans réserve ; "
    La Cour déclarait toutefois que le système des élections ne pouvait être abordé par les tribunaux puisque il n’était pas démontré qu’il y avait eu dysfonctionnement. En conclusion, tout en reconnaissant que le jour où il y en aurait il ne serait sans doute pas possible de le prouver, la Cour affirmait ne rien pouvoir faire !
    - En 2001, quatre candidats aux élections communales du 8 octobre 2000 dans des cantons soumis au vote électronique, après avoir épuisé les voies de recours en Belgique en matière de contestation du résultat des élections communales, introduisaient une requête à Strasbourg sur base de la violation de l’article 13 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. En effet, les arrêts rendus par le Collège juridictionnel ou la Députation permanente, et le Conseil d’Etat, sur base de dispositions légales antérieures à la loi organisant le vote automatisé, les avaient privés de tout moyen de recours effectif. Cette procédure est toujours en cours.

Et voici à nouveau venu le moment des élections législatives. Le 18 mai 2003, 44% des électeurs seront à nouveau contraints de procéder à l’élection de leurs représentants par la méthode du vote électronique. Pour notre part, nous refusons dorénavant d’être contraints d’élire nos parlementaires fédéraux sans que les conditions minimales requises pour des élections "libres et honnêtes" soient respectées, c’est-à-dire sans contrôle direct de l’électeur.

En conséquence, dès que nous serons en possession de notre convocation électorale, nous informerons par courrier le président du bureau principal du Canton de vote de notre intention de refuser de voter, si le vote sur un bulletin papier et un dépouillement par les citoyens nous sont inaccessibles, en présentant les raisons exposées ci-avant pour lesquelles nous refusons le vote électronique . Lorsque nous nous rendrons dans notre bureau de vote, s’il apparaît que le vote électronique est le seul moyen qui nous est proposé pour élire nos représentants, nous remettrons une copie de la lettre au président du bureau de vote et lui demanderons de l’annexer au procès-verbal, par lequel la loi lui impose de rapporter le bon ou mauvais fonctionnement des opérations.

Nous sommes conscients que le refus de voter est un acte grave mais nous sommes convaincus que le danger qui menace la démocratie le justifie. Nous aurions pu faire acter notre mécontentement par le Président du bureau de vote et nous soumettre, quand même, au vote électronique, la rage au coeur, comme nous l’avons fait lors des élections précédentes. Nous invitons d’ailleurs toutes les personnes soucieuses d’élections réellement démocratiques à poser un tel geste ce 18 mai 2003, en de remettre au président de leur bureau de vote, pour annexion au procès-verbal, une simple lettre, reprenant les raisons pour lesquelles le système de vote électronique ne satisfait pas aux critères élémentaires du contrôle citoyen.

Pour notre part, nous choisissons la désobéissance civile, avec l’espoir que nos futurs parlementaires donneront à ce signal l’importance qu’il mérite : la démocratie est en danger et leur élection n’est pas aussi démocratique qu’ils veulent bien l’imaginer.

Nous appelons tous les démocrates convaincus à nous rejoindre dans ce combat, par les moyens qu’ils jugeront les plus appropriés, pour que rien ne s’interpose jamais entre la volonté de l’électeur et son mode d’expression et pour que le pouvoir de contrôler les élections soit rendu aux électeurs.

Ce combat, nous devons le gagner car il en va de l’avenir de notre démocratie représentative.


[i] Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 13 juin, s.l., 25/06/99, pp. 58-59.
[ii] Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 8 octobre 2000, Chambre des Représentants et Sénat de Belgique, 18/10/2000, pp. 62-63.
[iii] L’association " Pour une Ethique du Vote Automatisé (Pour EVA) a fait de ce combat sa raison d’être (tél. : 02 660.44.98 - courriel : email@poureva.be).
[iv] Arrêt du C.E. n°95.677 - p.11