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11/10/2000: Intervention orale de M. Nabil Antoun représentant de Pour E.V.A.

en Commission de l’Intérieur du Sénat le 11/10/2000


<< Il faut choisir : se reposer ou être libre >>

Mesdames, Messieurs,

Au nom de l’association Pour EVA, je tiens tout d’abord à vous remercier de m’avoir invité à exposer notre point de vue sur le vote automatisé.

Dans la mesure où une automatisation des votes respecterait les règles de l’éthique reconnues à tous scrutins démocratiques, nous n’avons aucune objection à l’usage de l’informatique dans ce domaine.

En 1994, lorsque le vote automatisé a été introduit, j’ai personnellement été intrigué.

En effet, ma formation me permet de savoir qu’aucun système informatisé n’est à l’abri d’erreurs ou de piratage et vous trouverez, dans la documentation qui vous a été remise,
la confirmation par l’UNESCO. (C.f. document 1)

C’est en ne perdant pas de vue deux éléments de base que nous avons entamé l’étude du système du vote automatisé :

- l’impossibilité de sécuriser totalement un système informatique ;
- l’impossibilité d’éliminer les tentatives de tricherie.

Au début, c’est avec amusement et curiosité que nous avons commencé l’analyse.

Par la suite c’est avec horreur et inquiétude que nous nous sommes lancés dans une lutte contre le vote automatisé tel qu’il est conçu !

En effet, nous avons découvert :

- que le Ministre de l’intérieur refuse la transparence ;
- que le système n’est plus surveillé que par les experts du Pouvoir en place ;
- que seule une élite pourrait le comprendre et en surveiller les rouages ;
- que les citoyens sont, par l’usage de méthodes sophistiquées, écartés de la supervision des scrutins.

Nous ne relevons ici que ces quelques anomalies car elles résument à elles seules toute la problématique. Il y en beaucoup d’autres...

Avant de s’attaquer à une automatisation quelconque, tout ingénieur qui se respecte doit poser des questions sur ce qu’il est autorisé à faire et à ne pas faire.

Sans ce cahier des charges, l’ingénieur pourrait par ignorance du sujet qu’il aborde, commettre en toute bonne foi des erreurs en éliminant ou en transformant certaines fonctions indispensables.

Dans le cas du vote automatisé, nous avons dû définir ce cahier des charges puisque nous n’avons jamais pu voir celui que le Ministre de l’intérieur a (ou aurait ) rédigé pour qu’une automatisation des scrutins se fasse dans le respect de la démocratie.

Nous avons dû revoir par nous-même ces règles, et nous avons donc étudié et repris à la base l’analyse des méthodes de vote.

Un scrutin se déroule en deux temps : le vote dans l’isoloir et le dépouillement en public.

Ce serait une lapalissade de dire que dans l’isoloir on doit être seul et que le dépouillement implique la publicité la plus totale.

C’est le bon sens...

Mais avec le vote automatisé, qu’avons nous fait ?

L’électeur ne maîtrise plus tout seul, ni à sa guise, son bulletin.

Dans l’isoloir, sa volonté d’électeur est prise en charge par une équipe d’ingénieurs via la machine à voter.

Quant au dépouillement il est des plus opaques puisqu’il n’est plus exposé qu’aux seuls regards des experts nommés par le Pouvoir sortant, et assorti du refus de transparence du Ministre de l’intérieur.

N’ayant pas réussi à convaincre le Pouvoir Législatif qu’il y avait urgence à se pencher sur le sujet et n’ayant pas convaincu le Pouvoir Exécutif a être transparent, nous avons dû faire appel au Pouvoir Judiciaire.

Faut-il rappeler la démarche au Conseil d’Etat de janvier 98 contre le refus de transparence ?

Celle-ci a abouti à un premier Arrêt en novembre 1999 et fait déjà jurisprudence ! (Journal des tribunaux : année 2000 p.107) (C.f. document 2)

Dans ce premier Arrêt, le Conseil d’Etat, ayant constaté que Monsieur Vanneste, ( ici présent ?) n’était pas autorisé à signer "pour le Ministre" le refus de transparence, aurait parfaitement pu me donner raison sans même analyser le fond.
Mais le Conseil d’Etat, passant outre ce vice de forme et c’est là que réside l’exception, a ordonné à son Auditeur, vu l’importance du sujet, d’étudier le fond car, je cite le Conseil :

<< Considérant que l’examen des moyens invoqués par le requérant, à les supposer fondés, est susceptible d’entraîner une annulation aux effets plus étendus( ...)
il y a lieu de rouvrir les débats >> (C.f. document 2.1)

Après réouverture des débats, c’est en une page et demie seulement que l’évidence est soutenue par l’Auditeur du Conseil d’Etat , je le cite :

<< Le moyen paraît fondé ... Conclusion : ANNULATION >> (C.f. document 3.1)

On ne peut pas me refuser la transparence...

Ceci est le premier signal qui a été lancé par le Pouvoir Judiciaire afin que le Pouvoir Exécutif change d’attitude.

Nous sommes actuellement dans l’attente de la nouvelle audience au Conseil d’Etat.

Faut-il vous rappeler les démarches auprès du Tribunal, civil tant en septembre 1999 qu’en septembre 2000, dont les premiers résultats tout parcellaires signalent au Pouvoir Législatif qu’une "erreur" s’est glissée dans notre système électoral ?

Je voudrais citer le juge :

<< ..., il ne peut être considéré qu’un tel collège d’experts, élus par les majorités des assemblées, soit une instance indépendante du pouvoir en place. >> (C.f. document 4)

et encore :

<< ... les droits garantis par l’article 25 b du Pacte International relatif aux droits civils et politiques sont incompatibles avec un système où les erreurs et les fraudes ne pourraient être détectées que par le pouvoir en place au moment des élections et non pas par des instances ou personnes indépendantes. >> (C.f. document 4.1)

Faudra-t-il aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour faire constater l’évidence ?

La Belgique ne respecte plus les principes de scrutins honnêtes ...

Bien sûr, certains peuvent compter sur le fait que personne n’aura l’endurance de persévérer jusque là. (Il faut, en temps normal, environ quinze ans pour aboutir...)

Mais, depuis dimanche passé, un magnifique raccourci nous est offert :

En effet, tous les recours nationaux à propos des contestations de résultats seront épuisés en une dizaine de semaines.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme sera donc accessible avant janvier 2001.

A notre point de vue, il n’y a plus d’autre sortie honorable possible que l’abrogation de la loi instaurant le vote automatisé.

Toutes solutions basées sur le système actuel ne seraient qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

Il faut prendre le temps de réfléchir très sérieusement à ce que l’on peut et ce que l’on ne peut pas changer à la manière de nous faire voter.

Il faut donc reprendre l’étude à la base.

Mais en attendant d’aboutir, nous ne pouvons pas continuer de violer la Constitution ainsi que les lois internationales et européennes.

Il y va de notre démocratie.

Les signaux venant du Pouvoir Judiciaire ne pourront pas rester indéfiniment de simples signaux, ils se transformeront un jour ou l’autre en jugement.

Si l’on prend du recul quelle est la situation ?

Pour renouveler le Pouvoir en place,

- vous demandez à l’électeur de confier aveuglément son intention de vote aux experts du Pouvoir sortant ;
- Vous dites aux assesseurs de dépouillement :
" Ne vous dérangez plus, restez chez vous et acceptez les résultats que les experts du Pouvoir sortant vous annoncent ".

En somme, le Pouvoir sortant nomme ses experts pour vérifier la légitimité du Pouvoir rentrant...

Cela ne peut pas tenir la route bien longtemps !

Rappelons-nous deux choses :

- Nous n’éradiquerons pas la malhonnêteté ;
- il est contraire au bon sens démocratique de laisser dans les mains d’une toute petite élite, fût-t-elle indépendante, les rennes des scrutins.

Autant revenir vers cette époque pré-démocratique où une population illettrée n’avait aucun moyen de surveiller ses dirigeants.

C’est pour cela que, dans les pays à faible proportion de lettrés, on utilise des sigles accessibles et compréhensibles à tous sur les bulletins de vote.

Je reviens justement d’un voyage en Egypte où des élections législatives vont se dérouler incessamment et où nous avons pu expliquer combien l’usage de tels systèmes est un miroir aux alouettes qui peut s’avérer dramatique en cas de "dysfonctionnement".

Même en Suisse nous sommes intervenus... ce pays où le sens de la démocratie et des consultations populaires est poussé au point d’organiser des "votations" plusieurs fois par an...

Même ce pays, qui aurait donc tout avantage à tirer un "soit disant" profit d’une automatisation des scrutins et qui, de plus possède les moyens financiers de se payer les meilleures méthodes, ne s’est pas engagé dans cette voie car, je cite leurs experts, :

<< La simple possibilité qu’une autorité soit en mesure de manipuler les résultats(...) n’est pas conforme à la volonté du contrôle démocratique des scrutins par le peuple, comme il est inopportun que les électeurs soient écartés de la maîtrise des scrutins par l’utilisation de "procédés" ou de "langages" propres à une élite >> (C.f. document 5.1)

Mais, au fait, quel avantage apporte une automatisation des scrutins ?

Dans l’espoir de raccourcir de quelques heures l’attente des résultats, nous dépensons des milliards et nous incitons nos citoyens à ne rien faire pour leur démocratie.

Après l’acte de voter, le dépouillement est le premier des devoirs de surveillance.

Malgré le dérangement, la plupart des assesseurs sortent de l’expérience avec le sentiment justifié d’avoir oeuvré à leur démocratie.

Je voudrais citer ici Périclès qui disait aux Athéniens :

<< Si vous voulez être libres, il faut travailler >>

ou mieux encore Thucydide :

<< Il faut choisir : se reposer ou être libre >>

Vous avez choisi de laisser les assesseurs se reposer.

Toute solution informatisée dans le domaine des scrutins doit permettre un contrôle parallèle et indépendant par le citoyen "commun".

En dehors de cette règle, les scrutins passeront sous la dépendance totale et incontrôlable des informaticiens.

Vis-à-vis de cette nouvelle élite, nous sommes des illettrés.

Je pourrais m’étendre sur les "solutions" possibles et commenter celles qui sont proposées par les divers vendeurs d’informatique, mais ce n’est pas le rôle de l’association " Pour une Ethique du Vote Automatisé ", que je représente ici.

Par contre, si vous le désirez et si vous avez des questions sur les diverses solutions techniques et corrections envisagées, j’y répondrai volontiers.

Si vous admettez qu’il y a un problème, arrêtez tout, abrogez cette loi qui vient de bafouer une fois de plus les droits civils les plus élémentaires de 3 200 000 électeurs.

"Revenir en arrière", ne serait pas la "dernière histoire belge", comme l’affirmait Monsieur Philippe Monfils le 20 juillet en séance plénière au Sénat.

La dernière histoire belge c’est ce député de Guinée Bissau qui, récemment, ne pouvant croire que la Belgique avait instauré un système de vote contrôlé uniquement par les experts du pouvoir en place et, croyant que c’était une de ces inepties que l’on peut trouver sur le Net, nous demandait de lui fournir les preuves de nos affirmations.

Nous lui avons envoyé la loi sur le vote automatisé !

Nous lui enverrons le jugement intervenu en référé !

Revenir en arrière serait plutôt la preuve de votre sagesse et constituerait peut-être le début d’une nouvelle série d’histoires belges : celles dont on prendrait exemple.

Je reste à votre disposition pour vos éventuelles questions et pour répondre, si vous le désirez, aux propos des autres intervenants.

Je vous remercie pour votre attention.