08/12/2005: Les braves gens n’ont rien à cacher
Le vote électronique, c’est une tromperie, voyez-vous !
De Xavier Deutsch, romancier, chronique parue dans « Le Soir » (quotidien belge), le 8 décembre 2005, p.23.
« Cher monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Vous allez bien ? Moi, ça va.
Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais c’est bien possible parce que il y a un an et demi, vous avez dû vous tracasser d’un petit embêtement qui s’était retrouvé sur votre bureau, par ma faute.
Attendez que je vous le rappelle en deux mots : c’était en 2004 lors des élections. Je m’étais retrouvé président d’un bureau de vote, dans ma commune, et c’est encore quelque chose que j’aime bien. On voit du monde, on a le sentiment d’une certaine importance, et sans monter sur mes grands chevaux, je vous promets que ça fait du bien de caresser la démocratie avec le plat de la main, et de la sentir respirer de son grand souffle profond.
Voyez vous pas, ça me rend lyrique !
Malheureusement, les choses se sont gâtées lorsque j’ai compris que le bureau dont j’étais président devait travailler par vote électronique : une des plus grandes arnaques que les crânes d’œuf de vos services ont imaginée depuis la fin de la Guerre !
Le vote électronique, c’est une tromperie, voyez-vous !
Dès lors qu’on n’a plus de bulletins en papier, visibles par les témoins de tous les partis démocratiques, nul ne peut vérifier que les fonctionnaires de l’Intérieur ou de la Sûreté de l’Etat ne manipulent pas les scrutins.
Et donc, au petit matin, au moment d’ouvrir, j’avais déclaré que le bureau allait rester fermé, car je ne pouvais pas garantir la sincérité du vote.
C’est vrai que ça avait fichu une pagaille mémorable, mais j’ai promis un jour, sur le lit de mort de mon père, vieux résistant, que les petits arrangements contre-démocratiques ne passeraient jamais par moi.
Voilà, ça y est, vous me remettez ?
Mais je ne vous écris pas ma lettre pour vous rappeler mes vieux faits d’armes.
C’est autre chose. Voyez-vous, j’ai septante deux ans. Et je viens de recevoir mon petit papier de la commune pour aller chercher ma nouvelle carte d’identité.
Et qu’est-ce qui paraît ?
Que la carte d’identité va être munie d’une puce.
Et qu’est-ce qu’il y aura dans cette puce ? Mystère !
Soi-disant que je pourrai contrôler tout ça, qu’il
suffit d’un boîtier et d’un « code puf »...
Mais qu’est-ce qui me prouve que cette puce ne cache pas des doubles fonds, et que la police n’ira pas y lire des choses qui resteront invisibles à mes yeux ?
C’est comme pour le vote électronique : qu’est-ce qui me prouve ?
Donc, je vous écris pour vous avertir bien charitablement : je vais aller chercher ma carte d’identité mais, dès que je rentre à la maison, j’empoigne ma perceuse, une mèche de 14, et votre puce aura bientôt cessé de vivre.
Bien à vous, monsieur le Ministre.
Léon, à Courcelles »
De Xavier Deutsch, romancier, article paru dans la "chronique" du quotidien belge « Le Soir », le 8 décembre 2005, p.23
Republié avec l’autorisation de l’auteur.