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10/01/2001: Question orale de M. Jean-Pierre Viseur au ministre de l’Intérieur sur "les leçons à tirer du scrutin électronique à Jurbise" (n° 3006)


CHAMBRE-3ème SESSION DE LA 50ème LEGISLATURE
10/01/2001

... Suite à ce scrutin informatisé, une série de bizarreries, pour le moins, ont émaillé cette journée ; parfois, il s’agit carrément d’anomalies. ...

Document officiel

CHAMBRE-3ème SESSION DE LA 50ème LEGISLATURE
10/01/2001

Question orale de M. Jean-Pierre Viseur au ministre de l’Intérieur sur "les leçons à tirer du scrutin électronique à Jurbise" (n° 3006)

Jean-Pierre Viseur (ECOLO-AGALEV) :

Monsieur le président, un bon nombre d’entre vous ne savent pas où se situe Jurbise. Il s’agit d’une petite commune d’environ 6.000 électeurs, dans l’arrondissement de Mons. Mais ce qui est important de savoir, c’est qu’on y a voté électroniquement lors des dernières élections communales. Suite à ce scrutin informatisé, une série de bizarreries, pour le moins, ont émaillé cette journée ; parfois, il s’agit carrément d’anomalies. Je ne les citerai pas toutes, mais les principales sont les suivantes. D’une part, le nombre de voix enregistrées au total est un nombre supérieur au nombre d’électeurs inscrits ; avoir plus de votants que d’électeurs pose déjà problème, même si les chiffres sont contestés, car il y a un certain flou : les uns disent 77 et les autres 92. Le résultat est en tout cas là. La deuxième bizarrerie consiste dans le résultat lui-même. Le chiffre électoral est le total des voix enregistrées pour une liste, votes en case de tête et votes nominatifs. La première liste révèle 586 votes comme chiffre électoral et 255 en case de tête ; pour la deuxième liste, il y a 1.691 voix, donc plus de deux fois et, en case de tête, toujours 255 ; pour la troisième, il y a 2.870 voix enregistrées mais, en case de tête, toujours 255 ; pour la quatrième, il y a 575 comme chiffre électoral, mais 55 voix en case de tête. Ce n’est pas tout à fait la même chose et il faut bien avouer que c’est troublant comme résultat. D’après les calculs effectués par les informaticiens, il y aurait une chance sur 85.000 pour que cela se produise à propos des trois fois 255. On n’a pas calculé quelle était la probabilité supplémentaire d’avoir encore 55 comme résultat de la quatrième liste. Une réclamation a été déposée devant la députation permanente, sur base de ce que je viens de vous dire mais aussi sur base de beaucoup d’autres dysfonctionnements. Je possède le rapport de la décision de la députation permanente ; il rassemble de nombreuses pages dont je suppose que le cabinet dispose et qui seront examinées en détail. D’autres faits se sont produits : des disquettes ne fonctionnaient pas, des urnes étaient descellées. De tels phénomènes ne peuvent arriver et sont sujets à caution, surtout quant au vote électronique. Mais la députation permanente a quand même rejeté le recours, invoquant le fait qu’elle n’était pas compétente pour examiner la chose sur le fond et que, de toute façon, les voix supplémentaires - enregistrées mais dont on ignore la provenance - n’auraient pas changé l’attribution du nombre d’élus ni l’attribution des élus. Ainsi, un recours a maintenant été interjeté au Conseil d’Etat.

Dans le rapport de la députation permanente, non seulement il y avait des urnes descellées mais on apprend aussi que le chiffre 255, que l’on retrouve trois fois, n’est pas un chiffre anodin, un chiffre tout à fait aléatoire pour les informaticiens parce qu’il représente 2 8- 1 ; ne me demandez pas la démonstration mathématique mais il s’agit en tout cas de huit octets dans une arithmétique binaire, dont on enlève un. C’est un peu plus troublant que des mathématiciens vous disent que ce chiffre a une signification en informatique. De plus, à cette occasion, on s’est aperçu qu’il était possible pour les techniciens de retrouver les résultats bureau par bureau, et liste par liste : en principe, c’est contraire à la loi puisque le résultat doit être global pour conserver le secret du vote. Au cours de l’examen du recours, on a simplement recopié sur de nouvelles disquettes le résultat enregistré dans la boîte noire de l’urne, qui s’appelle l’éprom. Donc, l’urne contient une boîte noire qui enregistre le résultat, lequel est copié sur une disquette. Cela a été fait. On a relu les disquettes et évidemment, on a abouti au même résultat que celui qui avait été proclamé. Cependant, on n’a ni recompté ni relu les cartes magnétiques qui avaient enregistré les votes, ce qui aurait sans nul doute été intéressant. Il est également apparu que l’on pouvait, de l’extérieur de l’urne, trifouiller dans cette boîte noire, ce qui constitue aussi une anomalie supplémentaire. Toujours est-il qu’un recours en annulation a été introduit auprès du Conseil d’Etat. Au passage, je m’étonne que, malgré ce recours en annulation, ce conseil communal de Jurbise ait été installé. A ma connaissance, dans pareil cas, cela ne se peut. Ceci ne fait pas l’objet de ma question, mais si vous avez une explication, monsieur le ministre, elle est la bienvenue. Certes, il ne vous appartient pas de décider de l’invalidation des élections, en présence d’un recours auprès du Conseil d’Etat, mais il me semble en tout cas qu’il appartient au ministre de l’Intérieur de tirer les leçons de tout ce que j’ai déjà évoqué dans ma question. En particulier, dans le cas précis de Jurbise, ne convient-il pas d’analyser en détail les raisons pour lesquelles le nombre de votes enregistrés est supérieur au nombre d’électeurs inscrits ? On le constate, mais on n’en connaît pas la raison. Ne conviendrait-il pas de recompter le nombre de cartes magnétiques qui ont été introduites dans les urnes ? De plus, si le résultat du comptage manuel des cartes ne correspond pas à celui de la lecture électronique, nous sommes en droit de nous poser des questions. De toute façon, il faudrait également faire procéder à la relecture de ces cartes magnétiques dans d’autres urnes pour avoir une confirmation du résultat. Plus généralement, force est de constater que, même si le vote électronique assure la relecture des cartes alors que les votes ont été mal enregistrés au départ sur les cartes magnétiques, donc s’il y avait un problème lors de l’enregistrement des votes, personne ne sait rien y changer et le doute subsistera toujours ainsi que le malaise par rapport au résultat de ces élections. J’ai déjà eu l’occasion, lors du dépôt de projets de loi par le gouvernement, d’évoquer ce problème du vote électronique, qui ne garantit pas le contrôle du processus électoral par des citoyens mais uniquement par des techniciens. Il s’agit évidemment d’une question de fond sur laquelle il faudra encore revenir à la lecture des enseignements retirés de cette expérience à Jurbise. Je profite par ailleurs de la question pour demander à quel stade se situe l’évolution du système de lecture optique des bulletins de vote papier, puisque les cantons de Chimay et Zonnebeke avaient, lors des élections législatives de 1999, fait l’objet d’une expérience non concluante.

Dès lors, je comprends qu’en l’absence de sécurité supplémentaire, celle-ci ne soit pas poursuivie, mais il me semble, néanmoins, que la voie de la lecture optique des bulletins de vote manuels est une voie beaucoup plus sûre et beaucoup plus citoyenne que celle du vote intégralement informatisé.

Aussi, pouvez-vous me donner un état de la situation dans la recherche d’un système fiable de lecture optique ?

Le président : Monsieur Viseur, je vous ai laissé l’occasion de vous exprimer pleinement puisqu’il s’agissait de votre dernière question. Vous n’aurez donc plus l’occasion d’intervenir en ce qui concerne l’évaluation générale de ce système de vote. Je vous remercie déjà pour toutes vos interventions, surtout pour celle-ci, car elle nous aidera à procéder à l’évaluation générale de ce système électoral. Je vous souhaite beaucoup de succès dans les jours et les années à venir.

Antoine Duquesne, ministre : Monsieur le président, je répondrai avec plaisir mais aussi avec regret à M. Viseur. Que ce soit dans la majorité ou dans l’opposition, j’ai entretenu avec lui d’excellentes relations. Je suis de ceux qui regretteront son absence au parlement. De surcroît, il a été cet après-midi d’une telle patience que je répondrai même à la question qu’il n’a pas posée mais à laquelle il espérait obtenir une réponse. Conformément aux articles 74 et suivants de la loi électorale communale, le contentieux relatif à la validation des élections communales est du ressort des députations permanentes et du conseil d’Etat. En date du 15 décembre 2000, la députation permanente de la province de Hainaut a rejeté les réclamations et validé les élections communales qui se sont tenues à Jurbise le 8 octobre 2000. Un recours contre cette décision ayant été introduit auprès du conseil d’Etat, vous comprendrez que ma réponse ne peut être que d’ordre général. Je tiens toutefois à vous dire, dans la réponse que vous attendiez, que le recours au conseil d’Etat n’est suspensif que s’il est dirigé contre une décision de la députation permanente qui porte annulation des élections ou modification de la répartition des sièges entre les listes. Dans tous les autres cas, le recours au conseil d’Etat n’est pas suspensif. Par exemple, lorsque la députation permanente rejette une réclamation introduite, ce qui est le cas en l’espèce. Je tiens à préciser que la députation permanente du Hainaut a examiné attentivement les arguments soulevés par les réclamants et a procédé à des opérations de vérification qui n’ont pas mis en évidence un quelconque manque de fiabilité du vote électronique à Jurbise. Dans le cadre de la validation des élections communales, la députation permanente et le conseil d’Etat peuvent ordonner un recomptage des votes. En cas de vote traditionnel, le recomptage des bulletins de vote ne peut s’effectuer que par bureau de dépouillement. En cas de vote automatisé, les cartes magnétiques sont conservées dans l’urne scellée et seule la disquette contenant les votes émis dans le bureau de vote est transmise au bureau électoral principal. Si elle décide de procéder à un recomptage, l’autorité amenée à se prononcer sur des réclamations concernant une élection communale dispose donc de plusieurs possibilités en cas de vote automatisé et il lui appartient de déterminer, le cas échéant, la procédure qui sera suivie compte tenu des arguments invoqués par les réclamants et du délai dans lequel sa décision doit intervenir. Il est notamment possible de recompter les cartes magnétiques se trouvant dans une urne, puis de recréer l’élection et de relire ces cartes dans une urne électronique différente. A la limite, il est même possible de visualiser les votes se trouvant sur chaque carte magnétique et de procéder à un recensement manuel des votes émis. Lors des élections du 8 octobre 2000, au moyen d’une procédure très simple, chaque électeur pouvait d’ailleurs visualiser sur l’écran les votes qui se trouvaient sur sa carte magnétique avant de sortir de l’isoloir. Il n’y a donc aucune raison de supposer que les votes se trouvant sur les cartes magnétiques conservées dans les urnes ont pu être mal enregistrées et ne correspondent pas aux votes émis par les électeurs. Le nombre de votes enregistrés à Jurbise - 6.022 -n’est pas supérieur au nombre d’électeurs inscrits - 6.448 - et la comparaison de ces deux chiffres permet d’établir le taux de participation à l’élection. Je suppose donc que l’honorable membre entend que soit justifiée la différence entre le nombre de cartes magnétiques enregistrées dans certains bureaux de vote et le nombre d’électeurs qui se seraient présentés dans ces bureaux, établi en fonction des listes de pointage. Dans un bureau de vote, le pointage des noms des électeurs présents et l’introduction des bulletins ou des cartes magnétiques dans les urnes s’effectuent en présence des membres des bureaux de vote et des témoins des candidats. Le dépôt des bulletins dans les urnes reçoit évidemment une attention particulière de la part des témoins qui ne manqueraient pas de signaler dans le procès-verbal les anomalies ou infractions constatées. A défaut de telles mentions, on peut donc raisonnablement supposer, comme le fait la députation permanente du Hainaut, qu’une légère différence éventuelle entre le nombre de votants indiqué par les listes de pointage et le nombre de bulletins ou cartes trouvés dans les urnes provient vraisemblablement d’erreurs commises par les assesseurs qui ont tenu lesdites listes. Donc outre les erreurs commises par les machines, une erreur humaine est toujours possible. Enfin, en ce qui concerne le dépouillement des votes par lecture optique, l’expérience a été poursuivie lors des élections du 8 octobre dernier, ainsi qu’il était prévu par la loi du 18 décembre 1998 organisant le dépouillement automatisé des votes au moyen d’un système de lecture optique et modifiant la loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé. Mon administration prépare actuellement un rapport à ce sujet. Je puis toutefois déjà annoncer que les résultats apparaissent comme globalement satisfaisants. De manière plus générale, je compte soumettre à bref délai au Conseil des ministres un dossier pour évaluer la situation et la suite à réserver à la phase expérimentale dans laquelle nous nous trouvons toujours. Je crois en effet que maintenant, nous disposons de suffisamment d’informations. Il convient maintenant de décider de l’opportunité de généraliser le système, quitte à encore améliorer les dispositifs existants.

Jean-Pierre Viseur (ECOLO-AGALEV) : Monsieur le ministre, je vous remercie pour la réponse. Vous avez effectivement répété ce que j’avais déjà pu lire dans le rapport de la députation permanente. Le problème est celui du manque de certitude qui entache a posteriori des scrutins comme celui-là. Le fait que l’on ne puisse déterminer avec exactitude la raison du vice de comptage sied mal aux exigences d’un scrutin démocratique. Si le Conseil des ministres compte prochainement envisager ce problème dans sa globalité, je plaide pour que le vote électronique soit remis en question et qu’on n’avance plus que vers le vote par lecture optique. Celui-là donnera beaucoup plus d’assurances aux électeurs. Pour clôturer mon ultime interpellation, je vous remercie des paroles aimables que vous avez, les uns et les autres, tenus à mon égard. Je vous souhaite évidemment à mon tour une longue carrière politique et beaucoup de bonheur dans la vie.

L’incident est clos.