logo
Accueil » Des faits » Le vote automatisé en Belgique de 1991 à 2007

30/04/2007: Le vote automatisé en Belgique de 1991 à 2007

Aperçu historique et bilan de seize années d’« expérimentation » des systèmes de vote automatisés


x  français    o  Nederlands   

Mise à jour : une version plus récente se trouve ici : Historique de 1991 à 2015

Par l’association de citoyens « PourEVA » [1]

Campagne 2007

• C’est lors des élections législatives et provinciales du 24 novembre 1991 que fut introduit, pour la première fois en Belgique et sur initiative du gouvernement de l’époque, dans deux cantons, le vote électronique. Les motifs invoqués pour justifier l’expérimentation d’un système de vote automatisé étaient les suivants :

1. le recours à l’automatisation devait permettre aux pouvoirs publics de réaliser des économies notamment par la suppression des frais liés à l’achat, au stockage et à l’impression des bulletins ainsi que par la diminution du montant des indemnités destinées aux assesseurs ;
2. il devait permettre une communication plus rapide des résultats ;
3. il devait permettre d’augmenter la fiabilité de ceux-ci.
4. il devait permettre de réduire de manière significative le nombre nécessaire d’assesseurs pour assurer l’organisation et le contrôle des opérations électorales.

• La loi du 12 avril 1994 a étendu l’« expérience » à 20 % du corps électoral. Elle a également rendu possible l’extension ultérieure des systèmes automatisés à d’autres cantons électoraux par simples arrêtés royaux.

• La loi du 18 décembre 1998 a institué un collège d’experts (désignés, sans obligation, par les différents parlements) chargé de remettre un rapport au parlement fédéral concernant le déroulement des scrutins dans les cantons utilisant un système de vote électronique ou de dépouillement par lecture optique.

• Depuis les élections de juin 1999, 44 % du corps électoral est soumis à des systèmes de vote automatisés. Mais la situation en la matière est très différente selon les régions : si 100 % des électeurs bruxellois votent « électroniquement », ils ne sont que 49 % en Flandre et 22 % en Wallonie.

• Lors des élections législatives, régionales et européennes du 13 juin 1999, des élections communales du 8 octobre 2000 et des élections législatives du 18 mai 2003, une expérimentation alternative de dépouillement des bulletins de vote papier par lecture optique a été menée. Le collège des experts a estimé en 2000 que ce type de dépouillement était devenu « fiable et mûr » [2]. Cet avis a été confirmé en 2003 [3]. Ce système a pourtant été ensuite abandonné sans débat.

Le dépouillement des bulletins papier par lecture optique

Ce système est fondamentalement différent du vote automatisé puisque l’ensemble des opérations de vote reste manuel et que des bureaux de dépouillement sont constitués. La lecture optique vise à accélérer le dépouillement des bulletins papier. Cette opération se fait sous le contrôle des assesseurs qui ont toujours la possibilité d’effectuer des recomptages manuels. Nous estimons que le dépouillement par lecture optique est envisageable, à condition de n’être utilisé que comme une aide technique et que les assesseurs désignés pour les opérations de dépouillement restent entièrement maîtres des opérations ; autrement dit, à condition qu’ils gardent à tout moment la possibilité d’effecteur des contrôles manuels, les résultats de ceux-ci devant avoir la prééminence sur les comptages par machine en cas de différence. Et pour garantir que ces contrôles aient vraiment lieu, il faudrait que la loi prévoie une vérification obligatoire d’un pourcentage significatif des résultats comptés automatiquement et ce, dans tous les bureaux de dépouillement. Dans le cas ou un comptage manuel donnerait un résultat différent du dépouillement automatisé, tous les bulletins de vote du bureau concerné devraient être recomptés manuellement.

Encore faudrait-il savoir ce que la généralisation de ce système coûterait aux contribuables et si cette dépense doit être considérée comme prioritaire.

• Lors des élections législatives du 18 mai 2003, une expérience de « ticketing » (système de contrôle du vote automatisé par impression sur support papier des suffrages émis) a été menée dans les cantons de Waarschoot et Verlaine. Il s’agissait concrètement d’offrir la possibilité à l’électeur de visualiser, sur un « ticket » défilant derrière une vitre, les votes apparus sur l’écran de l’ordinateur. Cette expérience a été un échec (voir encadré ci-après) et n’a pas été renouvelée lors des scrutins suivants.

Le « ticketing » : voyage en absurdie ... et dans l’illégalité

Dans le souci « d’augmenter la confiance du public » (et non la capacité de contrôle des citoyens ni la sécurité des résultats, notons-le), le gouvernement a fait adopter par le parlement la loi du 11 mars 2003 introduisant, à titre expérimental (encore une fois), un système de « ticketing » dans deux cantons électoraux.

Remarquons que cette loi organisait le viol du secret du vote puisque, dans le cas où l’électeur constatait que les votes qui apparaissaient sur l’écran ne correspondaient pas à ceux qui figurent sur le « ticket », il était obligé de faire constater cette différence par le président du bureau de vote pour obtenir le droit de revoter (article 8).

La loi prévoyait aussi (article 9) que les tickets devaient être comptabilisés par des assesseurs désignés à cet effet et que le président du bureau principal de canton devait vérifier la concordance entre les résultats de la totalisation des votes enregistrés sur les cartes magnétiques et ceux donnés par le dépouillement manuel des « tickets ». Il était encore précisé qu’à défaut de concordance, la priorité serait accordée aux résultats du dépouillement des documents imprimés.

Cette expérience a été un échec. Le « ticketing » s’est avéré être un système plus lent que le vote électronique sans ticket. Le type de tickets utilisés en a rendu leur comptage extrêmement fastidieux [4]. Dans l’un des deux cantons concernés, celui de Waarschoot, le comptage manuel a donné un résultat différent de la totalisation électronique [5]. Dans un « complément au rapport du collège d’experts chargé du contrôle du vote automatisé, concernant l’expérience « ticketing » à Waarschoot et Verlaine » marqué « CONFIDENTIEL » [pourquoi ?] on peut lire : « L’expérience est concluante dans la mesure où, au niveau du vote, la concordance entre le vote visualisé à l’écran et imprimé a pu être établie dans l’isoloir [Par qui ? Les experts auraient-ils été présents dans chaque isoloir de ces cantons tout au long de la journée ?]. L’expérience n’est pas concluante dans la mesure où la conception et la forme des tickets n’ont pas permis d’effectuer le comptage manuel conformément aux prescriptions légales. »
Et les experts de conclure : « Le collège est d’avis que les résultats des opérations de dépouillement manuel des tickets ne peuvent être considérés comme fiables et que les résultats de la totalisation automatisée peuvent être considérés comme les plus fiables. » Affirmation (sans aucun argument à l’appui pour ce qui concerne la fiabilité de la totalisation automatique) dont la conclusion logique aurait dû être que la loi n’ayant pu être appliquée, il fallait revoter dans le canton concerné. Ce qui, en toute illégalité, n’a pas été fait, malgré une requête en ce sens déposée par le député Geert Bourgeois [6].

Ceci dit, en admettant qu’il soit susceptible d’amélioration, ce système ne pourrait rencontrer l’exigence démocratique d’un contrôle par les citoyens ordinaires que si un décompte manuel des « tickets » générés par les ordinateurs était effectué par des citoyens-assesseurs dans l’ensemble des cantons concernés et que les impressions étaient réalisées sur un format de papier suffisamment grand, sur des feuilles séparées pour chaque scrutin concerné, de sorte qu’un comptage manuel soit réellement possible. On voterait électroniquement mais seuls les résultats « papiers » seraient considérés comme valables. Mais alors pourquoi voter encore électroniquement ?

• Le 29 mai 2005, le Ministre de l’Intérieur informe (enfin) le parlement fédéral du coût réel du vote automatisé : 4,5€ par vote soit trois fois le coût d’un vote papier (1,5 €) [7].

• En vertu de la loi du 13 juillet 2001, l’Etat fédéral a transféré aux Régions les compétences en matière de législation, de réglementation et d’organisation des élections communales et provinciales. Cette loi a été appliquée pour la première fois le 8 octobre 2006. L’accord conclu en juillet 2005 entre le gouvernement fédéral et les Régions dans la perspective de ces élections prévoyait un statut quo en matière de modalités d’organisation des scrutins et que le matériel existant (mais devenu obsolète) serait encore utilisé pour ces élections-là ainsi que pour les législatives de 2007. Pour les élections suivantes, à commencer par celles de juin 2009, se pose donc la question du remplacement des dispositifs actuels.

Bilan de seize années d’ « expériences » : un échec incontestable

Reprenons les quatre objectifs officiellement poursuivis par les initiateurs de l’« expérience » commencée en 1991 (voir page 1) :

1. On sait maintenant, chiffres officiels à l’appui, qu’au lieu de permettre des économies, l’automatisation des opérations électorales représente un surcoût énorme : trois fois le coût du vote papier. Et l’expérience du « ticketing » a, bien sûr, occasionné des frais supplémentaires [8].

2. L’introduction du vote électronique a-t-elle permis que le résultat des élections soit connu plus rapidement qu’avec le système traditionnel ? On aurait pu l’espérer puisque ce système supprime les opérations de dépouillement. Et pourtant ce ne fut pas le cas. Lors des élections de mai 2003 par exemple, les résultats des cantons bruxellois, pour lesquels, le vote électronique était partout de rigueur, ont été connus bien après la plupart des autres résultats. Ce fut aussi le cas à Liège lors des élections communales et provinciales d’octobre 2006 où les résultats définitifs n’ont été communiqués que vers 23h45. Ce paradoxe s’explique en partie par les retards accumulés durant les opérations de vote et parce que quelques résultats manifestement aberrants ont donné lieu a de fastidieuses vérifications (voir ci-après).

3. Le vote automatisé s’avère non fiable techniquement ... mais il a fallu que des résultats aberrants apparaissent pour que l’on s’en rende compte. C’est ainsi, par exemple, que le « Rapport concernant les élections du 18 mai 2003 » du collège des experts mandatés par les différents parlements nous apprend qu’une erreur de 4096 voix de préférence a été détectée dans le canton de Schaerbeek. Après une courte enquête, les experts ont conclu que « l’erreur pouvait probablement [c’est nous qui soulignons] être attribuée à une inversion spontanée d’une position binaire dans la mémoire vive du PC. » (p.18). Nous ne nous prononçons pas ici sur le bien fondé de cette conclusion « probable ». Mais nous faisons remarquer deux choses :

1°. Avec le système du vote électronique des erreurs sont possibles (les rapports des experts en ont mentionné lors de chaque élection) ;

2°. Ces erreurs ne sont détectables que lorsque apparaissent des résultats aberrants [9]. Il est donc probable que des erreurs n’ayant pas produit de résultat aberrant, se sont également produites et ont changé le résultat d’élections sans que personne ne s’en soit rendu compte. La preuve en a été faite en juin 2004 à Anvers, quand une erreur dans la totalisation des voix pour le Conseil flamand a été découverte par hasard [10]. A contrario, dans le cas du système traditionnel (« vote papier »), non seulement chaque électeur peut être certain que c’est le vote qu’il a inscrit sur son bulletin qui sera lu par les assesseurs, mais encore les assesseurs au dépouillement sont là pour vérifier par recoupement les additions des résultats partiels qu’ils ont la charge d’établir.

4. A notre connaissance, ni au départ, ni aux différentes étapes (1991, 1994, 1999, 2000, 2003, 2004, 2006) de l’« expérience », aucun chiffre n’a été fourni aux parlementaires aussi bien concernant la difficulté de trouver des assesseurs qu’au sujet de la diminution du nombre des assesseurs nécessaires qu’aurait engendré le passage au vote électronique. Les seules choses que l’on peut affirmer de manière certaine sont que, du fait de l’automatisation, les assesseurs au dépouillement ont disparu mais que, par contre, les personnes mobilisées dans les bureaux où l’on vote électroniquement effectuent des prestations nettement plus longues que les autres : bureaux ouverts officiellement jusqu’à 15 ou 16 heures (au lieu de 13 là où est utilisé le système traditionnel) et souvent, dans les faits, jusqu’à 17 heures. Notons également que le nombre des assesseurs par bureau de vote est passé de quatre à cinq et que le président et le secrétaire doivent obligatoirement être aidés d’un secrétaire adjoint « justifiant d’une expérience en informatique » [11]. Le seul « avantage » - hypothétique - de l’automatisation serait donc qu’elle permettrait de diminuer le nombre de citoyens-électeurs mobilisés le jour des élections. Mais est-ce vraiment un avantage ? Une démocratie représentative n’a-t-elle pas intérêt au contraire, dans un souci de pédagogie citoyenne, à faire des jours d’élections des moments de grande mobilisation populaire, de célébration active de ce moment rare où s’exerce la souveraineté populaire ?

On peut donc conclure qu’en regard des objectifs poursuivis par les autorités qui ont initié ces « expériences », celles-ci n’ont pas été concluantes, au moins pour trois des quatre objectifs poursuivis. Quand on sait que, de plus, ces systèmes bafouent deux principes fondamentaux garantissant la fiabilité des élections, à savoir le contrôle des opérations électorales par les électeurs et le secret du vote [12], on est en droit de se poser la question suivante : à qui profite l’automatisation des opérations électorales si ce n’est aux sociétés productrices et gestionnaires de ces systèmes ?


[1PourEVA (« Pour une Ethique du Vote Automatisé ») est une association de fait, indépendante de tout parti politique, regroupant des citoyens qui contestent le système du vote automatisé tel qu’il se pratique actuellement en Belgique. Ils refusent ce système car il prive les électeurs de toute possibilité de contrôler les élections auxquelles ils sont appelés à participer. Les membres de l’association sont tous animés par un objectif commun : le retour à un système de vote et de dépouillement démocratique (http://www.poureva.be).

[2Cf. Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 8 octobre 2000, p. 68.

[3Cf. Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 18 mai 2003, p. 20

[4Cf. Collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 18 mai 2003, p. 20.

[5Cf. Sénat de Belgique, Séance plénière du 5 juin 2003- Annales, p. 7.

[6Cf. Sénat de Belgique, Séance plénière du 5 juin 2003 - Annales, pp. 7-8 et Chambre des Représentants de Belgique, Compte rendu analytique. Séance plénière du jeudi 5 juin 2003, p. 19.

[8Dans une note datée du 11 juillet 2002, le ministre de l’Intérieur informait le ministre du Budget que l’introduction du système de « ticketing » dans deux cantons électoraux engendrerait des frais supplémentaires d’un montant de 450.725 €.

[9Dans le cas de Schaerbeek, que nous avons cité en exemple, c’est parce qu’il est apparu, au soir de l’élection du 18 mai 2003, qu’un candidat avait obtenu plus de voix de préférence que le nombre total de voix exprimées pour la liste dont il faisait partie, que l’erreur a été détectée (cf. Collèges d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés, Rapport concernant les élections du 18 mai 2003, pp. 18-19). Autre exemple : si les résultats définitifs des élections d’octobre 2006 pour l’arrondissement électoral de Liège n’ont été connus que très tardivement c’est qu’il a fallu recommencer la totalisation dont le premier résultat produisait également des chiffres mathématiquement impossibles.

[10Cf. Chambre des Représentants et Sénat de Belgique, Rapport du collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés. Elections du 13 juin 2004, pp. 25 à 33.

[11Article 14, 2° de la loi du 18 décembre 1998.

[12Cf. notre « Lettre ouverte aux parlementaires et autres responsables politiques. Comment voterons-nous demain ? ».