18/02/2008: Vote électronique : La Belgique seule contre tous ?
UNE ÉTUDE PARTISANE
Communiqué de presse de l’association PourEVA
Le 27 septembre dernier, la Secrétaire d’Etat à l’Intérieur du gouvernement néerlandais retirait la certification de tous les ordinateurs de vote utilisés juqu’alors aux Pays-Bas. Ce qui conduisit le gouvernement à annoncer que les élections suivantes (européennes en juin 2009) seraient organisées en utilisant des bulletins de vote papier et des crayons, suivi d’un dépouillement manuel. [1] Cet Etat était jusque-là, avec la Belgique, le seul de l’Union européenne à imposer à un nombre important d’électeurs (90 % aux Pays-Bas, 44 % en Belgique) des procédures électorales automatisées, incontrôlables par les citoyens ordinaires.
En Belgique, l’accord conclu en juillet 2005 entre le gouvernement fédéral et les Régions, dans la perspective des élections communales et provinciales d’octobre 2006, prévoyait que le matériel existant serait encore utilisé pour ces élections-là ainsi que pour les législatives de 2007. Pour les élections suivantes, à commencer par celles de juin 2009, se posait donc la question du choix du futur mode de scrutin. C’est dans ce contexte que les administrations fédérale et régionales ont commandé à un “consortium de sept universités belges” de procéder à une étude comparative des systèmes utilisés en Europe et ailleurs et à la définition des exigences pour les systèmes de vote qui seront utilisés en Belgique à partir des élections de 2009. Ce rapport, en deux parties, est maintenant accessible sur le site Internet du Ministère de l’Intérieur. [2]
Le parti pris des auteurs apparaît de manière flagrante dans la deuxième partie de leur étude qui est consacrée à l’examen comparé des avantages et inconvénients de différents systèmes de vote électronique. Aucune comparaison n’y est faite entre ces procédés et notre système de vote papier, comme s’il allait de soi que ce dernier, qui est pourtant encore utilisé par 56 % des électeurs en Belgique (100 % dans la plupart des autres Etats européens !), devrait être définitivement abandonné. On trouve une autre preuve manifeste de ce manque d’objectivité à la page 55 de la première partie où les auteurs affirment qu’en Belgique "aucun groupe ou comité d’action n’a jamais critiqué de manière systématique l’introduction graduelle des machines à voter". Non seulement ces universitaires n’ont pas pris la peine de s’intéresser aux points de vue de ceux qui se battent sans discontinuer depuis 1994 (!), par leurs écrits, des pétitions, des interpellations de leurs représentants politiques, des actions en justice, des conférences, des participations à des débats télévisés, des actions publiques de protestation, etc., contre un système de vote électronique indigne d’une démocratie ; mais ils osent, de plus, affirmer leur inexistence.
Les considérations qui suivent concernent le système qui a la préférence du “consortium d’universitaires”, à savoir ce qu’ils nomment un "système amélioré de vote à l’aide de bulletins en papier".
Voici la description résumée de ce système qu’on trouve à la page 3 de la deuxième partie de l’étude : "L’électeur exprime son vote à l’aide d’une machine à voter électronique, qui imprime ce vote d’une façon lisible par un être humain sur un bulletin de vote et l’enregistre sous une forme traitable par ordinateur sur ce même bulletin de vote, soit dans un code à barres, soit dans une puce RFID [Radio Frequency IDentification - puce programmable sans fils ou contact électrique]. Après impression du bulletin, l’électeur vérifie que le vote imprimé correspond bien aux choix exprimés par le biais de l’ordinateur de vote. Ensuite l’électeur fait en sorte que seule la partie traitable par ordinateur reste visible soit en pliant le bulletin, soit en l’insérant dans une enveloppe. Dans les deux cas, le bulletin plié ou l’enveloppe est présenté(e) au président du bureau de vote qui vérifie l’absence de marques non autorisées, après quoi le bulletin est introduit par l’électeur dans l’urne du bureau de vote". Il est en outre prévu que les urnes de plusieurs bureaux de vote seront rassemblées dans un "centre de lecture des bulletins" et que les bulletins seront "dépouillés" par une machine équipée d’un lecteur de codes barres ou d’un lecteur de puces RFID (p. 28).
UN SYSTEME NON DEMOCRATIQUE
Il n’est pas besoin d’entrer dans plus de détails techniques pour mettre en évidence l’incompatibilité d’un tel système avec un principe de base d’une élection démocratique. Il s’agit du critère essentiel de validité d’un système électoral qu’est le contrôle effectif des opérations électorales par les citoyens-électeurs eux-mêmes. Il est complètement négligé au profit du critère "confiance des électeurs" (voir par exemple page 77). Avec le système préconisé, le dépouillement est en effet entièrement incontrôlable par les citoyens-électeurs, y compris les présidents de bureaux de vote, les assesseurs ou les témoins de partis. Il est question d’"observateurs indépendants", de "vérificateurs" ou d’"administrateurs-systèmes" dont-il n’est pas dit comment ils seraient choisis. Ce qui est certain c’est que ces rôles ne pourraient être remplis que par des experts en informatique. Ceci est incompatible avec cette exigence démocratique d’un contrôle effectif de l’ensemble des opérations électorales par les citoyens-électeurs eux-mêmes.
Le recomptage visuel des bulletins papiers n’est envisagé que sur plainte. De qui ? Pourquoi ? Dans quelles conditions ? Tout cela n’est pas précisé. Et le rapport ne prend pas position sur la question de savoir quel serait le résultat pris en compte en cas de divergence entre le comptage électronique et le comptage manuel.
REJET PEU CONVAINCANT D’UN AUTRE SYSTÈME CONTRÔLABLE PAR LES ÉLECTEURS
La lecture optique des bulletins papiers sans codes barres est condamnée avec très peu d’arguments qui sont par ailleurs très peu convaincants (page 78) : il est affirmé, sans preuves, que ce système serait plus coûteux que le système proposé dans le rapport ; il serait "relativement lent" ; "susceptible d’erreurs" et produirait "de grandes quantités d’informations qu’il faut transmettre et conserver pour pouvoir effectuer des vérifications". Le rapport ne mentionne pas que le collège d’experts désigné par les différents parlements pour contrôler les élections l’a déclaré à deux reprises "fiable et mûr" et ne fait aucune mention du fait qu’un tel système offrirait l’énorme avantage de permettre un contrôle visuel de l’ensemble des opérations électorales par des citoyens-électeurs ordinaires. Rappelons que la position de PourEVA est qu’un tel système est acceptable si la législation électorale prévoit un contrôle significatif et systématique (dans tous les bureaux de dépouillement) de la conformité du dépouillement par lecture optique, par le moyen de recomptages manuels par des citoyens-électeurs non experts en informatique.
NÉGLIGER LA QUESTION DU COÛT ?
Les informations données quant aux coûts des différents équipements proposés sont très lacunaires. Elles ne permettent aucune comparaison, ni avec le système traditionnel, ni avec les systèmes automatisés ayant déjà été utilisés en Belgique. Cela n’est pas sérieux. Rappelons que selon les chiffres officiels publiés par le Ministère de l’Intérieur en 2005, le vote électronique tel qu’il a été utilisé ces dernières années en Belgique coûte trois fois plus cher que le vote papier. [3] Le système automatisé proposé nécessitant plus de matériel que le précédent, il ne fait aucun doute qu’il coûterait encore plus cher.
LE VOTE À DISTANCE EST À REJETER DANS TOUS LES CAS
Notons encore à propos des votes à distance, qu’il est mentionné une seule fois cette vérité élémentaire que, dans tous les cas, ces procédures ne garantissent pas le secret des votes (2e partie, p. 107) : "... il subsiste des questions relatives à la coercition, à l’achat de votes, etc., ... qui sont difficiles à éviter, quel que soit le système de vote à distance mis en oeuvre". Pourtant, ailleurs dans ce rapport, cet élément essentiel semble complètement négligé. Le vote par Internet, absolument incontrôlable tant du point de vue de la garantie du secret du vote que de la prise en compte de celui-ci, apparaît au contraire comme le but final à atteindre un jour.
LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR DÉVOILE SES INTENTIONS
Le compte-rendu analytique de la séance du 29 janvier après-midi de la Commission de l’Intérieur de la Chambre nous révèle les intentions du Ministre Dewael : ferme partisan de la solution proposée par les auteurs du rapport des universitaires, il se dit conscient que le nouveau système ne pourra pas être opérationnel à grande échelle pour les élections de juin 2009. Mais plutôt que de permettre le retour au système traditionnel (sans doute pour lui un dangereux « précédent » !), cet apôtre de la « modernité » à tout prix défend l’idée de prolonger encore la vie du matériel existant, pourtant déclaré obsolète. [4]
Malgré l’opposition d’un nombre de plus en plus important de citoyens et de responsables politiques [5], le Ministre de l’Intérieur veut imposer, encore une fois, à 44 % des électeurs, l’utilisation d’un système très coûteux et absolument incontrôlable par les citoyens-électeurs. Ceci en prenant de plus le risque de disfonctionnements encore plus graves que par le passé, vu l’âge du matériel.
Rappelons que pour les membres de PourEVA (qui comptent parmi eux une proportion importante d’informaticiens), des innovations techniques ne peuvent être utilisées lors des élections que si elles sont compatibles avec ce principe de base qui doit régir une démocratie représentative : le jour des élections c’est l’ensemble des citoyens-électeurs qui exercent la souveraineté. C’est donc à eux qu’appartient le contrôle de la régularité des opérations électorales et non à des "experts" émanant des pouvoirs en place ou de firmes privées. Et ce n’est que de cette façon, en établissant pour tous la transparence des opérations électorales, qu’on pourra obtenir, de façon durable et justifiée, la "confiance des électeurs".
PourEVA
Contacts :
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[4] Cf. Rapport analytique des débats à la Chambre des représentants, séance du 29/01/2008 après-midi. Question conjointe de C. de Permentier et de J. Jambon, pp. 6 et 7. (http://www.lachambre.be/doc/CCRA/pdf/52/ac087.pdf)
[5] Voir par exemple les prises de position des présidents des quatre principaux partis politiques francophones sur la Une télé le 8 juin dernier (http://www.poureva.be/spip.php?article459)