Carte blanche publiée par le journal Le Soir le 18 mai 2009.
Depuis qu’en mai 2008 les Pays-Bas ont définitivement renoncé au vote électronique, la Belgique est le seul des 27 Etats de l’Union Européenne à encore imposer un système de vote automatisé à un nombre significatif d’électeurs (44 %). Là où le vote électronique était à l’essai, les autorités ont abandonné ou arrêté la progression du projet. C’est ainsi qu’en Irlande les machines à voter, achetées il y a cinq ans, ne seront jamais utilisées et le gouvernement cherche un moyen économique et écologique de s’en débarrasser. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a déclaré illégal le système de scrutin imposé à près de 2 millions d’électeurs en 2005 car il ne permet pas le contrôle des opérations électorales par les électeurs. En France le Ministère de l’Intérieur recommande de ne plus investir dans les machines à voter et parmi la petite minorité de villes qui s’en étaient équipées, certaines ont déjà renoncé à les utiliser. En Finlande, la Haute Cour administrative vient d’invalider le résultat du premier essai de vote électronique effectué dans trois communes et tous les électeurs finlandais voteront manuellement lors des prochaines élections européennes.
En Belgique, un débat de fond a été organisé au niveau fédéral en juin 2008, après 17 années d’« expérimentation » du vote électronique. A cette occasion, une majorité d’experts ont démontré à quel point le système utilisé en Belgique est inacceptable, principalement parce qu’il rend les élections totalement incontrôlables par les citoyens-électeurs. Rappelons aussi que selon les chiffres communiqués par le Ministère de l’Intérieur en mai 2005, le vote électronique coûte trois fois plus cher que le vote papier. Même lorsque l’on retire le coût d’investissement du matériel ou le coût du développement des logiciels, le payement des équipes de support informatique dépasse à lui seul le coût du vote papier. Les rapports des collèges d’experts désignés par les différents parlements ont, de plus relevé de nombreux incidents qui ont souvent retardé la disponibilité du résultat de l’élection ; mais ils ne disent rien des incidents qui auraient pu fausser les résultats sans être détectés.
Dans le rapport « BeVoting. Etude des systèmes de vote électronique » rédigé par un consortium d’universitaires à la demande des administrations fédérales et régionales et rendu public en décembre 2007, on peut lire que le système électronique utilisé en Belgique ne répond pas aux exigences du Conseil de l’Europe en la matière [1]. Plus loin, les auteurs concluent « que le vote électronique entièrement automatisé ne convient pas - à l’heure actuelle - pour la Belgique » [2].
Le rapport de l’O.S.C.E. concernant les élections de juin 2007 condamne également notre système à cause de son manque de contrôlabilité.
Le matériel informatique qui sera utilisé le 7 juin est ancien et périmé. Pour prolonger la vie de ce vieux matériel, les communes ont décidé de payer une prolongation des contrats d’entretien et de maintenance au delà de l’échéance du 31 décembre 2008. Ces frais ne constituent pas un investissement car on ne peut pas espérer prolonger indéfiniment la vie de ces vieilles machines. Et c’est prendre un risque énorme que de continuer à les utiliser.
Malgré tout cela, il s’est trouvé une majorité de parlementaires pour décider de persévérer dans la voie de l’automatisation et, dans l’immédiat, dans la perpétuation du système actuel condamné par tous les experts. La résolution votée recommande l’expérimentation d’un « système de vote électronique amélioré ». Pour nous, des innovations techniques ne peuvent être utilisées lors des élections que si elles sont compatibles avec ce principe de base qui doit régir une démocratie représentative : le jour des élections c’est l’ensemble des citoyens-électeurs qui exercent la souveraineté. C’est donc à eux qu’appartient le contrôle de la régularité de l’ensemble des opérations électorales, et non à des experts en informatique. Pour garantir ce contrôle effectif, faire
produire des bulletins en papier par des ordinateurs ne suffit pas. Il faut que les représentants des citoyens-électeurs (témoins de listes, présidents et assesseurs des bureaux de vote et de dépouillement) puissent répondre aux questions suivantes : Tous les électeurs, et eux seuls, ont-ils pu voter une et une seule fois ? Leur vote a-t-il été secret ? Chaque vote a-t-il été pris en compte ? La totalisation des votes s’est-elle faite correctement ?
Nous ne disons pas que ces exigences démocratiques ne peuvent être rencontrées qu’avec le système traditionnel. Mais force nous est de constater que, jusqu’à présent, aucun système automatisé ne les a respectées. Et nous nous permettons de rappeler qu’une des raisons pour lesquelles les Pays-Bas ont renoncé définitivement au vote électronique est que, comparé aux systèmes traditionnels, le coût d’un système automatisé fiable et véritablement contrôlable par les électeurs est démesuré.
Quand donc nos représentants renonceront-ils à imposer à près de la moitié des électeurs de ce pays, au nom de la « modernité », un mode de scrutin coûteux, non fiable, et non contrôlable par les citoyens-électeurs ?
Patricia Fenerberg, Kommer Kleijn, Michel Staszewski, Claire Verhesen, Pierre-Antoine
Verwilghen, porte-paroles de l’association citoyenne « PourEVA » (Pour une Ethique du Vote Automatisé www.poureva.be).