23/05/2009: Elections du 7 juin 2009 : refus de voter par le truchement du vote automatisé
Lettre à la Présidente du bureau principal du canton électoral d’Ixelles
Voici le texte d’une lettre qu’un électeur a envoyé à la présidente du bureau principal de son canton électoral, en réponse à sa convocation électorale. Il y annonce que le 7 juin, jour des élections, il se rendra dans le bureau électoral qui lui a été assigné et, après qu’il aura constaté qu’on lui demande à nouveau d’utiliser un système de vote inaccessible à tout contrôle des citoyens-électeurs, il protestera contre ce système en refusant de voter de cette manière.
Madame,
J’ai reçu, il y a peu, ma convocation électorale. Pour la septième fois, je suis mis dans l’obligation d’exercer mon devoir d’électeur au moyen d’un système de vote automatisé. Ce système prive les électeurs de toute possibilité de contrôle des opérations électorales : il leur est impossible de lire ce qui se trouve sur la carte magnétique qui leur est remise, ni avant ni après le vote et ils ne peuvent savoir ce qui s’y trouvera indiqué après son passage dans l’urne électronique. Il n’y a plus de dépouillement ; ce sont des machines qui décodent les disquettes provenant des urnes électroniques.
Le législateur a confié la tâche de vérifier le bon fonctionnement des élections aux présidents des bureaux de vote, aux assesseurs et aux témoins des partis. Depuis l’introduction du vote électronique, aucune de ces personnes n’est en mesure d’affirmer que tout s’est déroulé correctement, car ce sont des machines qui opèrent, non pas sous leur contrôle mais sous celui d’experts en informatique : si une machine tombe en panne, le président du bureau de vote fait appel à un technicien d’une firme privée désignée à cet effet. Qui peut affirmer qu’aucun vote ou décompte n’est perdu ou modifié lors de cette intervention ?
Le législateur a bien décidé que des experts, désignés par les assemblées parlementaires, surveilleraient l’ensemble des opérations électroniques avant et pendant les élections. Mais dans leurs rapports concernant les six élections précédentes, les experts désignés par les divers parlements constataient que, dans la pratique, seuls les techniciens des sociétés qui avaient installé les systèmes étaient en mesure de les contrôler efficacement. Mais même si ces experts contrôlaient vraiment les systèmes informatiques utilisés, il n’en resterait pas moins que la grande masse des électeurs se verrait toujours dépossédée de toute possibilité de contrôler elle-même les élections. Et c’est bien là le fond du problème : avec le vote électronique tel qu’il est organisé en Belgique, il n’y a plus de contrôle citoyen des élections, ce qui est pourtant un principe de base de la démocratie représentative.
Depuis qu’en mai 2008 les Pays-Bas ont définitivement renoncé au vote électronique, la Belgique est le seul des 27 Etats de l’Union Européenne à encore imposer un système de vote automatisé à un nombre significatif d’électeurs (44 %). Là où le vote électronique était à l’essai, les autorités ont abandonné ou arrêté la progression du projet. C’est ainsi qu’en Irlande les machines à voter, achetées il y a cinq ans, ne seront jamais utilisées et le gouvernement cherche un moyen économique et écologique de s’en débarrasser. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a déclaré illégal le système de scrutin imposé à près de 2 millions d’électeurs en 2005 car il ne permet pas le contrôle des opérations électorales par les électeurs. En France le Ministère de l’Intérieur recommande de ne plus investir dans les machines à voter et parmi la petite minorité de villes qui s’en étaient équipées, certaines ont déjà renoncé à les utiliser. En Finlande, la Haute Cour administrative vient d’invalider le résultat du premier essai de vote électronique effectué dans trois communes et tous les électeurs finlandais voteront manuellement lors des prochaines élections européennes.
En Belgique, un débat de fond a été organisé au niveau fédéral en juin 2008, après 17 années d’« expérimentation » du vote électronique. A cette occasion, une majorité d’experts ont démontré à quel point le système utilisé en Belgique est inacceptable, principalement parce qu’il rend les élections totalement incontrôlables par les citoyens-électeurs. Les rapports des collèges d’experts désignés par les différents parlements ont, de plus, relevé de nombreux incidents qui ont souvent retardé la disponibilité du résultat de l’élection ; mais ils ne disent rien des incidents qui auraient pu fausser les résultats sans être détectés.
Dans le rapport « BeVoting. Etude des systèmes de vote électronique » rédigé par un consortium d’universitaires à la demande des administrations fédérales et régionales et rendu public en décembre 2007, on peut lire que le système électronique utilisé en Belgique ne répond pas aux exigences du Conseil de l’Europe en la matière . Plus loin, les auteurs concluent « que le vote électronique entièrement automatisé ne convient pas - à l’heure actuelle - pour la Belgique » .
Le rapport de l’O.S.C.E. concernant les élections de juin 2007 condamne également notre système à cause de son manque de contrôlabilité.
Le matériel informatique qui sera utilisé le 7 juin est ancien et périmé. Pour prolonger la vie de ce vieux matériel, les communes ont décidé de payer une prolongation des contrats d’entretien et de maintenance au delà de l’échéance du 31 décembre 2008. Ces frais ne constituent pas un investissement car on ne peut pas espérer prolonger indéfiniment la vie de ces vieilles machines. Et c’est prendre un risque énorme que de continuer à les utiliser.
Malgré tout cela, il s’est trouvé une majorité de parlementaires pour décider de persévérer dans la voie de l’automatisation et, dans l’immédiat, dans la perpétuation du système actuel condamné par tous les experts.
Lors des élections fédérales, régionales et européennes de juin 1999 et lors des élections communales d’octobre 2000, j’ai rempli mon devoir électoral, comme je l’avais toujours fait auparavant (en votant et en remplissant à de multiples reprises une fonction d’assesseur au dépouillement), tout en remettant une lettre de protestation au président de mon bureau de vote. Depuis 1999, le combat que je mène, avec d’autres citoyens, contre ce déni de démocratie qu’engendre le vote automatisé tel qu’il est actuellement pratiqué en Belgique a pris diverses autres formes : pétitions, actions en justice, conférences, articles dans la presse, rédaction de lettres ouvertes aux parlementaires, rencontres de mandataires publics, interventions dans des medias audiovisuels, etc. Mais depuis cette même année 1999, la situation en la matière n’a pas évolué : 44 % des électeurs (22 % en Wallonie, 49 % en Flandre et 100 % dans la région de Bruxelles-capitale) sont obligés de voter « à l’aveugle », avec une carte magnétique.
Pour toutes ces raisons, cohérent avec moi-même, et plus que jamais soucieux de la pérennité de notre démocratie représentative, dont les élections constituent, à mes yeux, la pierre angulaire, et bien qu’il m’en coûte, je prends aujourd’hui à nouveau la décision de marquer mon opposition résolue au vote électronique tel qu’il est pratiqué en Belgique en refusant de voter de cette façon. Le jour des élections, je me rendrai dans le bureau électoral où je suis censé remplir mon devoir d’électeur. Après avoir constaté qu’on m’oblige une fois de plus à voter par un moyen non démocratique puisque incontrôlable par les citoyens-électeurs, bien qu’il m’en coûte, je manifesterai mon refus de voter de cette manière au Président du bureau de vote en refusant de le faire avec la carte magnétique qu’il me présentera et je lui remettrai une copie de la présente lettre, en le priant de l’annexer au procès verbal des opérations électorales qu’il a la charge de rédiger. Je marquerai, de cette manière, mon attachement à notre démocratie représentative et mon refus d’une procédure électorale qui banalise le moment du choix de nos représentants politiques en déresponsabilisant les citoyens.
Je me réserve en outre le droit de rendre publique cette démarche à caractère protestataire.
Je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l’expression de mes meilleurs sentiments.
Michel Staszewski