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14/03/2012: Lettre ouverte à Charles Picqué , Ministre président de la Région de Bruxelles-capitale

A propos de l’adoption d’un nouveau système de vote automatisé


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Monsieur Le Ministre-président,
Le 26 janvier dernier, le gouvernement bruxellois a décidé d’adopter définitivement un nouveau système de vote automatisé mis au point par la société Smartmatic. Il sera introduit dans deux communes (Saint-Gilles et Woluwe-Saint-Pierre) dès les élections communales du 14 octobre 2012. Selon vous « ce nouveau système garantit la sécurité et l’intégrité du vote, tout en permettant de gagner la confiance de l’électeur via la possibilité du contrôle démocratique direct » (Agence Belga 26/01/2012).

Qu’en est-il en réalité ?

Contexte

Le système de vote électronique imposé à 44 % des électeurs jusqu’aux dernières élections (juin 2010) devrait encore être utilisé en octobre 2012 dans un grand nombre de communes (dont 17 des 19 communes bruxelloises), bien qu’il soit obsolète et qu’il ait été condamné de toutes parts pour son manque de fiabilité et de transparence. Toutefois, enfin rendus à ces évidences, les responsables politiques des différents niveaux de pouvoir se sont néanmoins accordés sur le fait que ce système devait être remplacé.

Cependant, bien que le vote électronique soit en net recul partout dans l’Union européenne, en Belgique, les gouvernements fédéral, flamand et bruxellois ont décidé de persévérer dans la voie du vote électronique et d’adopter un nouveau système hybride (un système électronique générant un bulletin en papier) mis au point par la société Smartmatic, avec l’ambition de l’imposer partout à partir des élections de 2014.

Description succincte du système de vote Smartmatic

L’électeur effectue ses choix au moyen d’une machine à voter dotée d’un écran tactile. Pour avoir accès à cette machine, l’électeur se fait remettre une carte à puce (jeton) qui se comporte comme une clef permettant à l’électeur d’exprimer son ou ses vote(s) et qui après insertion de la carte dans la machine à voter, donne l’accès aux élections pour lesquelles l’électeur a le droit de voter. Cette carte à puce est réutilisée par plusieurs électeurs et est sensée être à chaque fois réinitialisée.

Une fois le vote confirmé, la machine imprime un ticket qui reprend le choix de l’électeur, lisible par lui-même et un code-barres en deux dimensions, illisible pour lui. L’électeur doit ensuite scanner le code-barres de son ticket de vote avant de glisser ce dernier dans l’urne.

Le système de Smartmatic garantit-il, comme vous l’affirmez Monsieur Picqué, « la sécurité et l’intégrité du vote, tout en permettant de gagner la confiance de l’électeur via la possibilité du contrôle démocratique direct » ?

La confiance de l’électeur ne se décrète pas. Elle ne peut reposer que sur des procédures compréhensibles et transparentes pour tous. Seule une élection réalisée sous le contrôle effectif des citoyens-électeurs peut les rendre confiants.

Le vote lisible par un être humain doit être le seul vote valable

Le système proposé comporte l’impression, dans l’isoloir, d’un ticket de vote hybride (qui contient le vote, d’une part sous une forme lisible par l’électeur, d’autre part sous une forme lisible uniquement par un ordinateur). Mais c’est la forme non compréhensible et non vérifiable par le citoyen qui sera comptabilisée. Ceci n’est pas acceptable.

Seul un être humain peut déterminer la validité d’un vote et ceci
nécessite une vérification de chaque bulletin

Comme un bulletin de vote traditionnel, un ticket de vote ne peut être considéré comme valable s’il existe sur celui-ci des inscriptions permettant d’identifier l’électeur. Seule la vérification visuelle de l’entièreté du ticket de vote par des électeurs-assesseurs chargés du dépouillement des tickets permet de déterminer sa validité. Car c’est l’unique façon de vérifier l’absence de toute marque permettant d’identifier l’électeur, marque qui rendrait le ticket de vote invalide.

Le contenu de l’urne peut-être différent de celui comptabilisé par l’ordinateur du président du bureau de vote

Il est impossible de garantir que l’ensemble des tickets scannés par l’ordinateur du président de bureau correspond à l’ensemble des tickets dans l’urne. C’est l’électeur qui scanne son ticket hybride et l’insère dans l’urne. Il peut donc décider d’insérer son ticket sans l’avoir scanné, de conserver son ticket et de ne rien insérer dans l’urne ou d’y insérer autre chose. Rien ne prouve par ailleurs que son vote ait été enregistré correctement par l’ordinateur du président du bureau de vote.

Le système de jetons de vote ne permet pas de contrôler le nombre des votants

Avec le vote papier, et même avec le vote par carte magnétique, on connaît le nombre de supports de vote (bulletins papier ou cartes magnétiques) disponibles à l’ouverture du bureau de vote. Ce nombre est comparé avec le nombre d’électeurs s’étant présenté et le nombre de supports restant. Cette vérification de base n’est plus possible avec le système de Smartmatic qui utilise des jetons à réinitialiser. Seul un comptage manuel du nombre des tickets comparé à la liste des électeurs ayant voté permettrait ce contrôle.

Avec le système de Smartmatic, tout dépouillement humain est rendu inefficace.

Le but proclamé de l’instauration d’un ticket de vote hybride est de pouvoir le compter, le recompter mais surtout de pouvoir vérifier que la partie informatique du système de vote ne produit pas d’erreur volontaire (fraude) ou involontaire (bug).

Afin de pouvoir manier correctement les tickets de vote, ceux-ci doivent être d’une taille suffisante pour être déplacés et empilés pour un comptage et un recomptage. Or, par leur petite dimension, leurs très petits caractères et le fait qu’ils ont tendance à s’enrouler, ils sont peu propices à un comptage humain.

De plus…

… Comment peut-on déclarer un système électoral fiable en l’absence d’une loi réglementant son usage ?

Les considérations qui précèdent résultent des informations actuellement en notre possession. Mais pour pouvoir poser un jugement définitif, il nous manque un élément fondamental : une loi électorale adaptée à ce nouveau système.

Nous sommes en effet très inquiets de constater que le nouveau système a été adopté par les autorités politiques en l’absence d’une loi réglementant son usage. Ce qui nous réduit à des supputations basées essentiellement sur ce que nous avons pu observer lors de l’expérimentation « grand public » du 27 octobre 2011.

Dans le cas du vote papier, la loi électorale prévoit de manière très précise le déroulement des opérations électorales, depuis le dépôt des listes de candidats jusqu’à la totalisation et la proclamation des résultats en passant par toutes les étapes permettant de garantir que tous les électeurs et seulement eux ont pu voter, en secret, une seule fois, pour les élections qui leur étaient légalement accessibles. Cette loi garantit aussi la transparence et le contrôle citoyen des opérations de dépouillement et de comptabilisation des votes.

Qu’en sera-t-il pour le système de Smartmatic ?

Au vu de tout cela, ne trouvez-vous pas votre adhésion à ce nouveau procédé pour le moins hâtive, Monsieur le Ministre-président ?

Nous ne comprenons pas pourquoi vous dédaignez l’option du vote papier, tel qu’il est toujours pratiqué par une majorité des Belges et par la quasi-totalité des électeurs européens, alors qu’il remplit quant à lui toutes les conditions d’une élection démocratique : garantie du secret des votes et contrôle citoyen de l’ensemble des opérations électorales. Le vote papier est simple, compréhensible par tous et peu coûteux. Son seul "inconvénient", qui pour nous est une qualité, est qu’il mobilise et responsabilise les citoyens en les faisant participer au processus électoral en tant qu’acteurs et témoins.

Carl Devos, Patricia Fenerberg, David Glaude, Hendrik Laevens, Elisa Rigo, Michel Staszewski, Claire Verhesen, Pierre-Antoine Verwilghen, membres de l’association, citoyenne « Pour une Ethique du Vote Automatisé »

14 mars 2012