04/02/2013: Bilan des élections communales et provinciales du 14 octobre 2012
Ces élections ont été suivies avec grande attention par les membres de notre association. En effet, elles ont été l’occasion d’expérimenter des nouveautés, à savoir, l’utilisation à grande échelle du nouveau système de vote automatisé proposé par Smartmatic qui était porteur de grandes promesses selon ses promoteurs, et un système de dépouillement des bulletins de vote papier assisté par ordinateur nommé DEPASS.
Après un bilan, Région par Région, des faits rapportés par les collèges d’experts ainsi que par la presse, nous apportons des compléments d’information puis nous faisons l’analyse critique des différents systèmes utilisés.
Déroulement des élections en Région de Bruxelles-Capitale
Pour rappel, à Bruxelles, le vote électronique est utilisé dans la moitié des cantons électoraux depuis 1994 et dans tous depuis 1999 avec les dispositifs Jites et Digivote. La nouveauté de cette année est l’utilisation du système hybride de la firme Smartmatic dans deux communes (Saint-Gilles et Woluwe-Saint-Pierre). Sa particularité par rapport aux systèmes à carte magnétique est de fournir une trace papier du vote exprimé.
Le Collège des experts était composé de 7 membres, 4 effectifs et 3 suppléants. Ils ont pu réaliser quelques travaux avant les élections : visite des locaux où sont créés les supports informatiques, tentative d’analyse des codes sources, test pratique des systèmes de vote, participation à certaines séances de formation des présidents de bureau.
Le jour des élections, les experts ont pu réaliser 53 visites de bureaux de vote (sur un total de 711) et 3 visites de bureaux de totalisation (sur 19). Ils y ont relevé de nombreux problèmes : votes de référence comptés comme votes réels, ouverture prématurée des enveloppes contenant les mots de passe, carte à puce qui devient inutilisable, blocages d’imprimante.
Le Collège des experts a sans doute évité des problèmes supplémentaires en obtenant la désactivation de la sonnerie du scanner de l’urne ainsi qu’en fournissant des instructions formelles pour que les présidents ne sortent pas de l’écran de vote. Sans cette intervention, ou si leurs instructions n’avaient pas été suivies à la lettre, un certain nombre de votes n’auraient pas été comptés. On peut remarquer que ni le fournisseur, ni le Ministère et encore moins la société certifiante n’a détecté ce problème, ni d’autres dont nous traiterons par la suite.
Ils ont également procédé à quelques contrôles post-élection : ils ont fait un recomptage de quelques urnes, et comparé le résultat obtenu à celui du programme de totalisation officiel. Il est à noter que cette vérification ne fut pas effectuée par des citoyens-électeurs ordinaires, ni systématique et encore moins entreprise à grande échelle sur un pourcentage significatif des bulletins ou des bureaux.
Le Collège des experts a répété de nombreuses recommandations des années précédentes toujours pas mises en œuvre et en a émis de nouvelles supposées corriger les « maladies de jeunesse » (les principaux incidents) qui ont eu lieu avec le système de Smartmatic.
Communales 2012 : Rapport du Collège des experts pour la Région de Bruxelles-Capitale
Déroulement des élections en Région wallonne
En Wallonie, contre l’avis du Gouvernement régional wallon et, en particulier de son Ministre des Pouvoirs Locaux, Paul Furlan, les trente-neuf communes qui utilisaient précédemment les systèmes de vote électronique, principalement dans la province de Liège, ont continué à le faire, avec les vieilles machines Jites et Digivote.
Il est à noter que le logiciel utilisé dans les bureaux de totalisation a été totalement réécrit. La seule nouveauté a été l’utilisation, dans de nombreux bureaux de dépouillement, d’un système de dépouillement assisté par ordinateur nommé “DEPASS” (DEPouillement ASSisté), proposé aux communes à l’initiative de la société Stésud.
Comme en 2006, le Collège des experts constitué par la Région wallonne n’était formé que de quatre membres, deux effectifs et deux suppléants. Leur seule action précédant le vote a été d’assister à une démonstration des systèmes de vote et de dépouillement. Le jour des élections, ils ont visité 29 bureaux de vote et 3 bureaux de totalisation. De nombreux problèmes ont été constatés : scellés non conformes, procédure de démarrage non strictement respectée, documentation fournie incorrecte, machine de totalisation qui publie les résultats sans prévenir. Quelques incidents ont également été relevés, comme des machines qui ne démarrent pas ou qui tombent en panne. Pourtant, après quelques recommandations communes mais pas dénuées de sens, ils concluent que tout s’est déroulé sans problème significatif permettant de douter de la validité des résultats du vote.
Il est a noté qu’ils n’ont pas observé le système DEPASS comme si, considérant qu’il ne s’agissait pas de vote électronique, ils ont estimé que cela ne relevait pas de leur compétence.
Région Wallonne : Rapport du collège d’experts wallon pour les élections du 14 octobre 2012
Déroulement des élections en région Flamande
La Flandre votait cette fois-ci électroniquement dans un peu moins de la moitié des communes. C’est la seule Région où l’utilisation du vote électronique a progressé avec 8 nouvelles communes qui ont fait ce choix. Notons toutefois que la ville de Gand a refusé de participer au test du nouveau système considérant qu’un profond changement du système de vote à trois mois des élections comportait trop de risques et laissait trop peu de temps pour former les acteurs de l’élection.
Les communes de Flandre qui ont voté électroniquement ont utilisé pour la première fois exclusivement le système de la société Smartmatic, l’ensemble des ordinateurs de vote ayant été renouvelés pour cette élection. Quelques communes ont également fait appel au système DEPASS pour le dépouillement.
Le collège des experts constitué par la Région flamande était formé de quatre membres, deux effectifs et deux suppléants. Contrairement au rapport des experts bruxellois, le rapport flamand est peu critique, moins développé et contient essentiellement une simple description du système.
Le jour des élections, ils ont visité 20 bureaux de vote. Ils n’y ont remarqué que des problèmes mineurs (scanner manuel non branché, bourrage du papier des imprimantes, etc.). Selon leur rapport, les quelques problèmes constatés furent essentiellement dus à des erreurs humaines, si l’on excepte de petits soucis techniques. Mais pour eux il n’y a rien à redire sur le principe. Ceci tranche fortement avec l’avis exprimé par Hendrik Bogaert, Secrétaire d’Etat chargé de la numérisation de la fonction publique (voir plus loin).
Région flamande : Rapport du collège d’experts flamand pour les élections du 14 octobre 2012
Compléments d’information et analyse des évènements
PourEVA constate encore une fois, que des centaines d’incidents (si ce n’est plus, beaucoup n’étant sans doute pas parvenus à notre connaissance) ont eu lieu lors des dernières élections communales. Une partie non négligeable d’entre eux ne sont pas repris dans les rapports des experts (ex : incident de Neufchâteau), et ceux qui s’y trouvent sont fortement minimisés.
Tout en reconnaissant les limites de leur mission, de leur indépendance, et des moyens qui leur sont donnés, les rapports des experts ne sont pas tous de la même qualité. Les experts wallons se sont contentés du strict minimum, alors que les Bruxellois ont globalement fait, dans la limite de leurs possibilités, un travail assez détaillé.
Il est assez inquiétant de constater que les systèmes Jites et Digivote posent encore de nombreuses difficultés alors qu’ils sont utilisés en Belgique depuis près de 20 ans. Tous ces problèmes ne peuvent pas être mis sur le compte de la “vétusté” du système.
Le système de Smartmatic n’a pas, quant à lui, été très performant. Son prétendu avantage d’utilisation d’une “preuve” papier n’a pas été vraiment compris ou utilisé par les électeurs. Mais surtout, il a donné des résultats en partie faussés par son problème d’écran tactile trop sensible (cf. notre article La sensible question des écrans tactiles qui influencent le résultat). Les experts mettent tout cela un peu rapidement sur le compte d’”erreurs de jeunesse” du système. Or, si cela peut nous paraître justifier la mauvaise utilisation des procédures par les assesseurs qui y étaient effectivement confrontés pour la première fois, le système de Smartmatic est quand même utilisé dans de nombreux pays depuis plusieurs années. Ces soucis techniques sont donc difficilement justifiables.
Il est également inquiétant de constater que de nombreux problèmes relevés lors de l’élection (par exemple : si le président du bureau change d’écran sur son poste, un vote rentré à ce moment-là n’est pas comptabilisé) n’avaient pas du tout été remarqués par l’audit réalisé par la société PWC, chargée de certifier le système. Quel est donc alors le sens d’une telle certification ?
En fait, à bien des égards, ce système n’est en fait pas meilleur que l’ancien car il ne donne que l’illusion de la transparence (par l’impression d’un ticket papier) alors que la loi ne prévoit en rien un renforcement du contrôle citoyen. De plus étant plus complexe, il augmente les occasions de faire des erreurs, de manipulation ou autres. Enfin, doit être posée la question de son coût, qui nous semble dépasser celui de l’ancien système déjà trois fois plus coûteux que le vote papier, selon les informations communiquées par le Ministère de l’Intérieur en 2005.
Un point important, qui est quasiment passé sous silence par les rapports des experts et encore plus par les médias, est l’introduction du système DEPASS qui fournit une aide au dépouillement par l’utilisation d’une paire d’ordinateurs. Il nous paraît étonnant que ce nouveau système ait pu être mis en place et utilisé alors qu’aucun cadre légal ne le réglemente, et qu’aucune information au public n’ait été faite à son sujet. De plus il n’a pas empêché l’apparition d’incidents dans les communes où il était utilisé, notamment à Neufchâteau où le dépouillement des votes a pris plus de 24 heures.
Notons enfin que face aux nombreux problèmes rencontrés, des voix critiques se sont aussi fait entendre du côté des élus et jusqu’au gouvernement, où le Secrétaire d’Etat chargé (entre autres) de la Modernisation des Services publics fédéraux, Hendrik Bogaert, a déclaré au lendemain des élections du 14 octobre qu’il souhaitait qu’on en revienne au vote papier. Ces propos sont particulièrement remarquables car ils émanent du Secrétaire d’Etat chargé de la numérisation de la fonction publique.
En conclusion, PourEVA constate que ces élections ne se sont une fois de plus pas déroulées dans des conditions dignes d’une démocratie. Les dysfonctionnements pourtant maintes fois signalés dans le passé se répètent à nouveau, des résultats incorrects sont produits sans être même remarqués, et la transparence du processus, son contrôle par les citoyens-électeurs et la garantie fondamentale du secret du vote sont toujours absents du déroulement des élections.
C’est pourquoi nous persistons à demander, pour les prochaines élections, le retour immédiat et intégral au vote papier, seul moyen existant aujourd’hui capable d’offrir toutes les garanties de fiabilité et de contrôle d’une élection.