14/01/2014: 49 bourgmestres wallons élus hors-la-loi ?
…et bientôt combien de députés ?
Lors des élections d’octobre 2012, 49 communes wallonnes ont dépouillé et comptabilisé les bulletins de vote (papier) au moyen d’un système électronique loué, le temps de l’élection, à une entreprise privée. Ce faisant, ces 49 communes ont enfreint le code de la démocratie locale régissant, en Wallonie, le déroulement des élections de sa compétence.
Les (nouveaux) bourgmestres de ces 49 communes ont donc été élus sur base d’un total de voix de préférences obtenu en contravention avec le prescrit légal.
En octobre 2012, les citoyens des 589 communes belges ont renouvelé leurs représentants appelés à siéger dans les conseils communaux (et provinciaux) pour les 6 ans à venir.
Ce scrutin (communal et provincial) fut le deuxième organisé par les autorités régionales. Cette régionalisation de compétence électorale portait en germe de possibles disparités. Et il y en eut : disparité non seulement dans les modalités de vote : 100% électronique à Bruxelles, 49% en Région flamande (151 communes), 15% en Région wallonne (39 communes), mais aussi dans les règles législatives dont particulièrement, en Wallonie, l’élection (semi)directe du bourgmestre.
Le Décret wallon du 8 décembre 2005, par son article 14, a en effet ainsi modifié son Code de la démocratie locale :
« Art. L1123-4.
§1er. Est élu de plein droit bourgmestre, le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité adopté en application de l’article L1123-1.
En cas de parité de voix, l’ordre de la liste prévaut. »
En juillet 2009, l’accord de majorité régionale wallonne affirme sa volonté de : " mettre fin à l’expérimentation actuelle du vote électronique en Wallonie afin de renforcer le contrôle démocratique sur l’organisation des élections communales et provinciales. Le Gouvernement favorisera les types de votes traditionnels et étudiera la possibilité d’expérimenter des alternatives électroniques qui permettent de conserver les bulletins de vote papier afin de procéder, le cas échéant, à un comptage manuel avec témoins." [1].
On peut raisonnablement supposer que cette affirmation politique d’arrêt du vote électronique a un impact direct : la société fournissant le système de vote électronique voit ainsi son expansion fortement contrariée en Wallonie. Est-ce pour cela qu’elle développe un système électronique d’aide au dépouillement (dont l’encodage des votes de préférences) ?
A l’approche des élections de 2012, la société démarche donc volontairement un certain nombre de communes « non électroniques », là où l’expression citoyenne se fait au moyen de « bulletins papier », leur proposant ce nouveau système en phase avec cette volonté politique "d’expérimenter des alternatives électroniques qui permettent de conserver les bulletins de vote papier afin de procéder, le cas échéant, à un comptage manuel avec témoins".
49 communes [2] décident alors, souverainement, de « louer » [3] ce système et organisent donc le dépouillement des bulletins (papier) via un système électronique appelé « DEPASS » (pour DEPouillement ASSisté par ordinateur des votes papier).
Était-ce légal ?
Le Code wallon de la démocratie locale, législation qui régit la vie communale et provinciale -dont les élections-, divise sa partie IV en deux : le vote communément appelé traditionnel (Partie IV – Livre I « élections des organes » - de l’article L4111 à l’article L4151) et le vote spécifiquement électronique (Partie IV – Livre II « Système de vote automatisé lors des élections provinciales, communales et de conseils de secteurs » – de l’article L4211 à l’article L4261)
Or, DEPASS n’est pas un « vote électronique » puisque les bulletins papier sont déposés dans une (voire plusieurs) urne traditionnelle. L’élection est donc légalement régie par Livre I « vote traditionnel ». Ce Livre Ier de la IVème partie du Code a été remplacé par le décret du 1er juin 2006, article 2. Examinons ce qu’il prévoit en matière d’usage de programmes informatiques :
Titre IV – Chapitre premier (opérations numériques et automatisées) – Article L4141 - §1er : « Sans préjudice des dispositions des articles L4211-1 à L4261-7 relatives au vote automatisé, les opérations d’encodage numérique visées au présent Code sont exécutées au moyen d’un logiciel élaboré et fourni par le Gouvernement aux présidents des bureaux électoraux. »
Mais le Code wallon de la démocratie locale méconnaît totalement le système DEPASS. C’est la société informatique qui a fourni (pour le seul temps de l’élection) le logiciel d’encodage. Le Gouvernement wallon n’a fourni aucune garantie quant à ce logiciel !
Et le système DEPASS fait bien plus que l’encodage numérique des résultats du dépouillement, il remplace et modifie complètement le dépouillement tel que défini par la loi.
Qui plus est, le collège d’experts (2 titulaires et 2 suppléants, pour toute la Wallonie !) visé à l’article L4211-6 du même code [4], censé « contrôler la fiabilité du logiciel », n’a, indique-t-il dans son rapport sur ces élections, assisté qu’à une séance de démonstration notamment du logiciel DEPASS, le 6 septembre 2012, « dans les locaux de la cellule élections ». In abstracto. Le jour des élections, ce collège d’experts n’a visité aucune commune l’utilisant [5]. Peut-être qu’en plus de ne pas avoir les ressources humaines nécessaires pour s’en préoccuper, il ne se sent pas investi de la responsabilité puisque ce n’est pas du vote électronique.
Pourtant, lors de ces élections communales, un « bug » informatique d’importance a interrompu le dépouillement et retardé de 24 heures l’annonce des résultats officiels de la commune de Neufchâteau (utilisant DEPASS), faisant dire au sénateur Dimitry Fourny, tête de liste et candidat bourgmestre : « On a le sentiment qu’ici, c’est le dépouillement qui a été pris en otage par la technique, et non la technique qui s’est mise au service du dépouillement… » [6]
Lors de ce scrutin d’octobre 2012, des « opérations d’encodage numérique » ont donc été réalisées hors de toute garantie officielle de fiabilité et de cadre légal wallon alors que le nombre votes de préférence recueillis devait pourtant désigner « directement » les bourgmestres.
Doit-on, dès lors, considérer ces 49 bourgmestres élus hors la loi ?
Même s’il semble ne pas avoir eu de recours introduit invoquant l’utilisation de DEPASS et que les élections sont validées, il n’est jamais trop tard pour encadrer et légiférer sur l’utilisation d’un tel système et sous quels critères de contrôle démocratique.
En 2014, les élections (européenne, fédérale, régionale) sont, cette fois, sous la responsabilité de l’État fédéral. Elles seront donc régies selon le Code électoral et, le cas échéant, la Loi de 1994 relative au vote électronique [7]. Que prévoit donc actuellement ce code électoral fédéral ?
Son Article 165 alinéa 4 précise : « Les logiciels utilisés pour le recensement électronique des voix par les bureaux de dépouillement doivent être agréés lors de chaque élection par le Ministre de l’Intérieur, après avis de l’organisme reconnu à cette fin par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. »
Pour « encadrer » le système DEPASS, l’autorité fédérale doit donc impérativement
1) agréer, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, un organisme ;
2) agréer les logiciels utilisés par les bureaux de dépouillement.
Sera-ce fait en temps et heure ? Les futurs députés éviteront-ils d’être également élus hors la loi ?
Nous l’espérons.
Rappelons toutefois que, comme pour le vote électronique, DEPASS participe concrètement à l’éloignement (l’exclusion ?) du citoyen du contrôle des opérations électorales, et accroît l’opacité entourant ce moment pourtant crucial de notre démocratie représentative.
A ce sujet, PourEVA souligne la 6ème recommandation du Collège des experts wallons exprimée dans leur rapport précité : « D’une manière générale, il faut impérativement responsabiliser les citoyens prenant part à l’organisation et à la tenue du scrutin. Un respect strict des procédures électorales mises en place éviterait certaines erreurs humaines (que le vote soit papier ou électronique). »
Mais cette responsabilisation ne concerne pas que le citoyen. Lorsqu’une disposition législative est démocratiquement décidée, encore faut-il qu’elle soit correctement appliquée ! Rappelons incidemment l’Article L4146-24 du code wallon de la démocratie locale : « Au plus tard le 30 mai de l’année qui suit les élections communales et provinciales, le Gouvernement fait rapport au Parlement wallon de la tenue des élections. »
Déposé tardivement au Gouvernement wallon (le 5 septembre 2013), ce rapport ne semble, d’après nos informations, toujours pas avoir été transmis au Parlement à l’heure d’écrire ce communiqué (fin décembre 2013), soit plus de 14 mois après les élections !
L’association de citoyens PourEVA (Pour une Ethique du Vote Automatisé)
[1] 8ème puce du point « 2. Encourager la participation citoyenne » – pages 247 et 248 du programme de majorité « olivier » « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire »
[2] Andenne, Arlon, Assesse, Attert, Bernissart, Braine-le-Comte, Chimay, Ciney, Clavier, Crisnée, Courcelles, Daverdisse, Dinant, Donceel, Érezée, Estinnes, Fexhe-le-Haut-Clocher, Florenville, Gesves, Genappe, Grez-Doiceau, Habay-la-Neuve, Hamoir, Honnelles, Hotton, Huy, Ittre, Jalhay, Lasne, Libin, Libramont, Lincent, Marche-en-Famenne, Momignies, Mons, Nassogne, Neufchâteau, Profondeville, Quievrain, Ramillies, Rochefort, Rumes, Sainte-Ode, Saint-Georges-sur-Meuse, Soignies, Tellin, Tubize, Vaux-sur-sûre, Villers-la-Ville
[3] d’après nos informations, au coût de 500€ la journée d’élection.
[4] et donc dans la partie exclusivement consacrée au vote automatisé !
[5] pages 5 et 6 du Rapport concernant les élections communales et provinciales du 14 octobre 2012 en Wallonie
[6] cité sur le site http://www.rtbf.be/info/elections2012_neufchateau?id=209
[7] Une nouvelle loi relative au système de vote électronique « avec ticket » est en cours d’examen, déposée à la Commission « Intérieur » du Parlement fédéral, le 5 décembre 2013.