16/12/2013: Lettre à Vincent de Coorebyter, président du CRISP
Une membre active de PourEVA réagit à un passage d’un article de Vincent de Coorebyter consacré au secret du vote, dans lequel il affirme que "l’ensemble des règles qui nous assurent que les bulletins de vote sont correctement collectés, dépouillés et comptabilisés (...) vont de soi en démocratie". Monsieur de Coorebyter, analyste reconnu et chevronné de la vie politique en Belgique, considère donc-t-il que la Belgique n’est plus une démocratie ?
Monsieur,
J’ai lu avec grand intérêt votre texte (colloque de Mons, 2013) sur le secret du vote et beaucoup apprécié vos analyses, ainsi que l’explication historique qui les accompagne. Il est évident que le sujet n’en est pas la transparence du processus électoral dans sa globalité, ni dans son application. Néanmoins, j’ai relevé une phrase dont j’aimerais revoir les implications : "Par transparence de l’élection, on ne vise pas ici l’ensemble des règles qui nous assurent que les bulletins de vote sont correctement collectés, dépouillés et comptabilisés ; ces règles vont de soi en démocratie" dites-vous : il me semble justement que l’application de celles-ci pose problème à l’heure de l’informatisation du vote. Comme le dit David Van Reybrouck, "je pensais que la démocratie fonctionnait comme du papier à musique, il n’en est rien" : justement, (et je n’envisage ici que le processus de vote par ordinateur et le projet de loi le concernant) ces règles ne vont pas de soi : il n’y a auncune transparence dans la phase de dépouillement du scrutin, ni même dans l’opération de vote pour l’électeur qui, "rassuré" (?) par un petit ticket "in-signifiant", ne peut ni contrôler ni maitriser l’interprétation de son vote dans un système obscur, compliqué et falsifiable. "La force et la portée des élections dépendent de manière critique de la possibilité de l’existence d’un débat public ouvert" dit Amartya Sen : comment, même si la démocratie représentative est imparfaite dans certains de ses aspects, se référer au terme de démocratie si l’on supprime au citoyen la possibilité de "parler" en étant certain que sa parole sera exactement entendue ?
"L’élection désigne mais n’explique pas" dites-vous très justement, aussi : mais ceci ne peut être une conjoncture favorable à l’institution de son opacité : il y a un glissement du "secret du vote" vers le secret des ordinateurs, et celui-ci n’est pas maitrisable par le corps électoral.
Bien consciente que le terme "transparence", à l’heure actuelle, ne recouvre que ce que chacun veut bien y mettre ou revendique, il me semble que le système informatique (Smartmatic, en l’occurence) qu’il est question de généraliser pour les prochaines élections, malgré ce qu’en dit Madame Milquet dans sa "Note au Conseil des Ministres" du 24 juin 2013 en se référant à la "transparence et au contrôle du vote par les électeurs", ne correspond nullement à ce qu’on pourrait espérer en termes d’une gestion "transparente de la démocratie".
Ces questions de "gestion démocratique" nous (l’association PourEVA, dont je fais partie) semblent suffisamment essentielles pour que nous espérions depuis de nombreuses années une étude du CRISP à leur sujet.
Malheureusement il n’en a rien été jusqu’à présent, et il va bientôt être trop tard : le projet de loi -puis, sans doute, une loi- va entériner un processus pour le moins bancal. Nous avons eu des contacts avec plusieurs dirigeants politiques, dont certains en tous cas sont tout à fait d’accord avec nos positions, et, comme vous le savez certainement, plusieurs études ont été faites en Belgique à propos du vote électronique (entr’autres par Anne-Emmanuelle Bourgaux, ULB, par Rim Ben Achour, IEV, par Alex Lefebvre, Faculté de droit Namur, dans la revue Ubiquité, Larcier) mais aussi en France et aux USA, et... toutes relèvent l’opacité et les dangers du vote électronique. Pourtant, la Belgique s’obstine... Comment comprendre cela... et qu’en pense le CRISP ?
Tout en vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à ma lettre, je vous prie, Monsieur, de trouver ici l’expression de mes sentiments distingués.
Claire Verhesen