01/03/2004: Deux requêtes à la Cour Européenne des Droits de l’Homme déclarées irrecevables
Trois ans après avoir introduit leur première requête en réaction aux rejets des instances belges compétentes de leur réclamation contre les élections communales du 8 octobre 2000 et près d’un an après y avoir joint une autre requête du même type concernant cette fois les élections législatives du 18 mai 2003, trois citoyens d’Auderghem voient leurs deux requêtes déclarées irrecevables par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
C’est par une lettre sêche et laconique (voir document joint) qui nous a été transmise le 5 mars 2004 par notre avocat Georges-Henri Beauthier, que nous avons appris que notre requête déposée suite au rejet par les juridictions belges compétentes de nos plaintes visant l’utilisation du vote électronique lors des élections communales du 8 octobre 2000 avait été déclarée "irrecevable". La justification de cette décision tenait en une seule phrase : "... la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles." La lettre précisait, en outre, que cette décision était définitive et qu’elle ne pourrait "faire l’objet d’aucun recours devant la Cour ou un autre organe". Renseignements pris, cette décision concerne également la requête du même type, déposée en août 2003, suite au rejet par le Parlement fédéral belge de notre requête en annulation visant les élections législatives du 18 mai 2003.
Nous avions beau avoir été prévenus par notre avocat, Georges-Henri Beauthier, que 95 % des requêtes adressées à la Cour européenne des Droits de l’Homme étaient déclarées irrecevables, nous avons été choqués par cette fin de non recevoir non argumentée. Les arguments nombreux et détaillés que nous avions développés (lire l’article Requête auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme) n’ont pas reçu la moindre réponse. Nous ne pouvons par conséquent pas nous départir du sentiment d’avoir eu à subir une décision arbitraire, une sorte de "fait du Prince".
D’autant que ce qui nous avait conduits à nous adresser à la Cour européenne des Droits de l’Homme était justement la conviction de n’avoir obtenu aucune réponse satisfaisante à nos arguments devant les juridictions belges compétentes. Jugez-en plutôt.
L’objet principal de nos plaintes a été, à chaque fois, l’opacité du système de vote électronique entraînant l’impossibilité de tout contrôle des opérations de vote et de dépouillement par les citoyens-électeurs. Le Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-capitale (arrêt du 28 novembre 2000)nous a débouté, arguant du fait "qu’aucun élément factuel, pouvant fournir la preuve de l’existence d’irrégularités susceptibles d’influencer la répartition des sièges entre les diverses formations politiques, n’a été soulevé ni étayé de preuves". De même, dans son arrêt du 16 février 2001, le Conseil d’Etat nous reprochait de ne faire "état d’aucun élément ou indice précis et concret dont il résulterait que les élections commnales d’Auderghem du 8 octobre 2000 seraient entâchées d’irrégularités susceptibles d’influencer la répartition des sièges entre les listes". Ce sont des "arguments" du même ordre qui seront invoqués par la Chambre et le Sénat (cf. Sénat de Belgique. Session extraordinaire 2003. Séance d’ouverture du 5 juin 2003. Annales 3-1, p.11 et Chambre des Représentants de Belgique. Compte-rendu analytique. 5 juin 2003, p. 12) pour rejeter notre réclamation introduite à la suite des élections législatives du 18 mai 2003. Nous savions, évidemment, qu’il y avait peu de chance (c’est un euphémisme) que les nouveaux élus invalident eux-mêmes leur propre élection !
Les différentes juridictions auxquelles nous nous sommes adressés, en ce compris la Cour européenne des Droits de l’Homme, nous ont demandé de justifier nos réclamations sur base de préjudices subis (seul moyen légal pour nous de pouvoir ester en justice, procédure qui, d’ailleurs, témoigne de l’exiguïté de la loi quant à la libre expression d’une revendication citoyenne). Or, si nous nous insurgeons contre le système du vote électronique, ce n’est justement pas en raison de préjudices ponctuels, mais bien parce que cette procédure ne nous paraît pas être conforme aux principes établis par différents articles de loi (art. 3 du protocole additionnel du 20/03/52, traitant de la transparence et du contrôle des élections, article 33 de la Constitution belge et article 14 de la Convention europénne des Droits de l’Homme sur l’exercice des droits et libertés sans discrimination). La Cour, dans la lettre qu’elle nous a adressée, semble n’avoir pas estimé nécessaire de raisonner sur le fond malgré notre argumentation circonstanciée. En effet, ce que nous demandons c’est une forme d’"inversion de la charge de la preuve" : l’absence de preuves d’irrégularités ou d’altérations du processus électoral ne signifie pas qu’il n’y en ait pas. A l’inverse, les autorités responsables devraient pouvoir faire, lors de chaque élection, la preuve crédible de l’absence d’anomalies, voire de fraudes, ce qui est tout aussi irréalisable puisque le système est opaque , donc incontrôlable ...
Voilà donc un dos à dos paradoxal, qui met en lumière le fait que tant que ce système de vote restera en vigueur le problème restera insoluble, le doute constant et le corps électoral politiquement déresponsabilisé.
Claire Verhesen et Michel Staszewski