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20/05/2014: Lettre de protestation

Un sympathisant refusera de voter dimanche


Un sympathisant se rendra, dimanche, dans son bureau de vote et, confronté à l’obligation d’utiliser une carte magnétique, refusera de voter avec un tel système.

A la Présidence de la circonscription électorale de Bruxelles-Capitale

Aux bons soins de la Présidence du Bureau de vote n° 26 sis dans l’école communale, rue Beckers 129 à 1040 Etterbeek

Copie à la Justice de Paix d’Etterbeek

Bruxelles, le 20 mai 2014

Madame, Monsieur,

Par la présente lettre, je, soussigné Patrick DEZILLE, vous convie de prendre acte :

que je me présenterai ce dimanche 25 mai pour accomplir mon devoir électoral ;

  • que je constaterai qu’il me sera, à nouveau, demandé de voter avec un système automatisé ;
  • qu’avec cette méthode je suis totalement incapable, entre autres :
  • de vérifier le contenu de la carte magnétique reçue et donc de m’assurer de sa réelle virginité ;
  • de vérifier si mon vote, et rien que lui, sera fidèlement transcrit par l’ordinateur de vote sur ce "bulletin" magnétique ;
  • de vérifier sur un ordinateur indépendant la transcription éventuelle de mon expression démocratique ;
  • de vérifier le réel "travail" effectué par l’urne électronique dans laquelle je devrai finalement introduire mon "bulletin" illisible ;
  • que ni la Présidence du Bureau de vote, ni les assesseurs présents ne pourront me garantir la transparence et le contrôle citoyen du dépouillement des votes exprimés lors de ce scrutin.

Le contrôle démocratique, réalisé par des citoyens-électeurs indépendants, est le fondement même de la démocratie représentative. C’est l’assurance de la conformité du déroulement des opérations électorales et de l’exactitude des résultats annoncés qui donne sa légitimité à la désignation de candidats en qualité de représentants du peuple.

Sans pouvoir effectuer toutes les vérifications précitées, je dois donc faire aveuglément confiance à l’État, à des experts par lui désignés, et à des techniciens de firmes privées, ce qui, dans le cas d’élections, n’est pas conforme à un contrôle démocratique indépendant. Ce système de vote heurte particulièrement mes valeurs démocratiques en ce sens qu’il prive le citoyen de la maîtrise de son bulletin de vote, ne lui garantit pas la réelle prise en compte de son expression, et l’écarte de la participation à la surveillance des scrutins.

J’avais déjà écrit en ce sens lors des scrutins précédents : communal en 2006, fédéral en 2007, régional et européen en 2009, fédéral en 2010, communal en 2012.

Alors qu’il y était pratiquement généralisé, les Pays-Bas ont définitivement renoncé au vote électronique en mai 2008. Depuis, la Belgique est le seul des 28 Etats de l’Union Européenne à s’obstiner à imposer un système de vote automatisé à un nombre significatif d’électeurs (48 % du corps électoral, 100% à Bruxelles). Là où, en Europe, le vote électronique était à l’essai, les autorités ont abandonné ou arrêté la progression du projet. C’est ainsi qu’en Irlande les machines à voter, achetées en 2004, ne seront jamais utilisées et le gouvernement cherche un moyen économique et écologique de s’en débarrasser. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a déclaré illégal le système de scrutin imposé à près de 2 millions d’électeurs en 2005 car il ne permet pas le contrôle des opérations électorales par les électeurs. En France le Ministère de l’Intérieur recommande de ne plus investir dans les machines à voter, et parmi la petite minorité de villes qui s’en étaient équipées, certaines ont déjà renoncé à les utiliser. Un récent rapport du Sénat français (mars 2014) abonde en ce sens. En Finlande, la Haute Cour administrative a invalidé le résultat du premier essai de vote électronique effectué dans trois communes et tous les électeurs finlandais voteront manuellement lors de ces élections européennes.

En Belgique, un débat a été organisé au niveau fédéral en juin 2008, après 17 années d’« expérimentation » du vote électronique. A cette occasion, une majorité d’experts a démontré à quel point le système utilisé en Belgique est inacceptable, principalement parce qu’il rend les élections totalement incontrôlables par les citoyens-électeurs . Les rapports des collèges d’experts désignés par les différents parlements ont, de plus, relevé de nombreux incidents qui ont souvent retardé la disponibilité du résultat de l’élection ; mais ils ne disent rien des incidents qui auraient pu fausser les résultats sans être manifestement détectés.

Lors des élections législatives de mai 2003, malgré les systèmes de visualisation proposés, une erreur de comptage de 4096 voix a été constatée dans l’un des bureaux de Schaerbeek, un candidat obtenant plus de voix de préférence que le total des voix de sa liste ! Aucune autre explication qu’un «  rayon cosmique  » (Mr Dewael, Ministre de l’Intérieur, Chambre des représentants) n’a, à ce jour, été fournie. D’autre part, durant le dépouillement du scrutin communal d’octobre 2006, les résultats partiels d’une liste à Liège furent supérieurs au résultat total finalement déclaré. Il est raisonnable de penser que ce ne sont probablement que les “pointes de l’iceberg”. Le risque d’un nouveau « dérapage » persiste donc. La fiabilité du système, et donc des résultats annoncés, n’est en rien garantie.

Dans le rapport « BeVoting. Etude des systèmes de vote électronique » rédigé par un consortium d’universitaires à la demande des administrations fédérales et régionales et rendu public en décembre 2007, on peut lire que le système électronique utilisé en Belgique ne répond pas aux exigences du Conseil de l’Europe en la matière . Plus loin, les auteurs concluent que « le vote électronique entièrement automatisé ne convient pas - à l’heure actuelle - pour la Belgique » .

Le rapport de l’O.S.C.E. concernant les élections de juin 2007 condamne également notre système à cause de son manque de transparence et de contrôlabilité.

Ma propre expérience comme témoin de parti en 2009, et assesseur en 2010, a encore amplifié mon opposition à cette modalité d’exprimer mon suffrage. Dans mon bureau de vote, une électrice a eu la surprise de voir ressortir de la machine à voter non pas une mais deux cartes magnétiques ! L’électeur précédent y avait laissé la sienne et avait quitté le bureau de vote sans que cela soit remarqué. La carte magnétique litigieuse sera toutefois introduite dans l’urne électronique !

Qui plus est, le matériel informatique qui sera utilisé ce 25 mai 2014 est archaïque, depuis longtemps périmé. Pour maintenir en vie ce vieux matériel, les communes doivent conclure une prolongation des contrats d’entretien et de maintenance au-delà de l’échéance du 31 décembre 2008. Ces frais ne constituent pas un investissement car on ne peut pas espérer prolonger indéfiniment la vie de ces vieilles machines totalement dépassées. Et c’est prendre un risque énorme que de continuer à les utiliser.

Enfin, cerise amère sur un gâteau déjà indigeste, par ce système automatisé, la non identification de mon vote n’est plus garantie. En effet, pour rappel, le scrutin 2009 visait à désigner les députés régionaux et les députés européens. Celui de 2010, les députés et les sénateurs. A chaque fois, mes deux votes ont été enregistrés sur une seule et même carte magnétique, ce qui permet une corrélation des votes exprimés. Etant obligé de voter dans un bureau où il est fait usage exclusif du vote automatisé, je suis donc pénalisé par rapport aux citoyens qui peuvent exprimer leur vote au moyen de bulletins distincts déposés dans des urnes disctinctes, modalité qui garantit la neutralisation totale de l’identification de leur suffrage.

En conséquence, je vous demande donc de noter dans votre procès-verbal mon rejet de cette modalité de vote, et que, en l’absence manifeste de modifications répondant aux remarques exprimées depuis plus de 8 ans, c’est la mort dans l’âme que je refuse de remplir mon droit d’électeur au moyen d’un système de vote obsolète, opaque et démocratiquement incontrôlable.

Je vous demande explicitement d’inclure la présente lettre au procès-verbal des opérations de ce bureau 26 relatives aux élections de ce 25 mai 2014.

Tout en vous remerciant et vous rappelant, Madame, Monsieur, mon infime désolation démocratique, je vous présente l’expression de mes sentiments respectueux.

Patrick DEZILLE