02/07/2014: Rendre au citoyen le plein contrôle du processus électoral
Lettre ouverte aux négociateurs des majorités régionales
Le bug informatique de ce dimanche 25 mai a magistralement prouvé que l’expérimentation du vote automatisé, initiée en 1991, se solde, en définitive, par des résultats non concluants.
Les objectifs d’expérimenter le vote automatisé étaient de développer un système de vote censé être plus rapide, plus fiable et moins coûteux.
Plus rapide ? Lorsque tout semble bien se passer, le vote automatisé donne relativement rapidement des résultats. Néanmoins, à chaque échéance électorale, des problèmes surgissent retardant à plusieurs endroits, la délivrance de résultats régurgités par la machine. Il faut, en effet, à chaque fois, repasser chaque carte magnétique dans une urne électronique pour reconstituer des résultats dans plusieurs bureaux principaux (car, avec le vote automatisé, les bureaux de dépouillement n’existent plus). En 2000, à Jurbise, il a même fallu revoter !
Plus fiable ? En 2003, à Schaerbeek, une candidate se voit attribuer plus de voix de préférence que le total des voix de sa liste. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque invoque un... « rayon cosmique » ! En 2004, à Anvers, une erreur dans les résultats pour le Parlement européen ayant été décelée, le Collège des Experts s’est rendu compte que les résultats régionaux étaient aussi entachés d’erreurs... non détectées par le système de vérification... et que les résultats étaient parvenus tels quels au Ministère de l’Intérieur. En 2006, à Liège, les résultats partiels, délivrés pendant la soirée électorale sont incohérents et différents des résultats totaux finalement adoptés. En 2012, en Flandre, des candidats inconnus sont élus simplement parce qu’ils se trouvaient situés à la place où, à l’écran précédent, le doigt de l’électeur devait sélectionner. A Woluwe-Saint-Pierre, le « double-clic », reconnu par le Conseil d’Etat, installe une suspicion d’avantager une liste favorablement positionnée sur l’écran tactile.
Et ce 25 mai 2014, les techniciens s’évertueront pendant plus de 48 heures à trouver et résoudre une erreur de programmation aboutissant finalement à ce que des fonctionnaires du SPF Intérieur suggèrent aux magistrats Présidents des bureaux principaux d’annuler, pour des raisons techniques, plus de 2.000 votes pourtant parfaitement valablement exprimés par les électeurs ! Après quoi, le Collège des Experts indique clairement que leur propre contrôle a posteriori met en évidence que la « solution » entérinée par les Présidents de bureaux principaux est incomplète, et donc, de facto, incorrecte, voire fallacieuse. Qui plus est, les experts admettent que l’ampleur des votes mal enregistrés peut avoir influencé les résultats en Communauté germanophone (à 14 voix) et en Région bruxelloise (à 10 voix).
Moins coûteux ? La seule tentative de comparaison de coût réel entre le vote traditionnel et le vote automatisé positionne, en 2005, le vote électronique (système avec carte magnétique) au triple du vote papier. Après les communales de 2012, le Ministre régional wallon des Affaires intérieures affirme un différentiel de 17x entre le coût du scrutin régional wallon (essentiellement papier) et flamand (à 50% électronique avec « ticket »).
Aujourd’hui encore, une trentaine des 39 communes wallonnes toujours électroniques est en procédure de recours auprès du Conseil d’Etat en vue d’éviter de devoir payer le surcoût de la part régionale entre le vote traditionnel et le vote électronique qu’elles ont décidé de poursuivre à l’encontre de la volonté politique régionale. Ce récent refus met donc en évidence que depuis l’amplification du vote électronique en 1994 et 1999, les communes wallonnes « papier » paient pour amortir le surcoût des communes ayant choisi le vote électronique.
Qui contrôle le vote électronique ?
Le bug de ce 25 mai a parfaitement démontré que ni les électeurs, ni les témoins de parti, ni les assesseurs, ni même les magistrats Présidents de bureaux n’ont la moindre possibilité de contrôler le fonctionnement des systèmes informatiques. Lorsqu’un problème surgit, quand il surgit (on ne voit jamais que la pointe de l’iceberg...), chacun doit se contraindre à remettre la vérification du déroulement des opérations électorales entre les mains de techniciens informatiques, fussent-ils privés ou publics. Le contrôle du déroulement du scrutin échappe donc, depuis plus de vingt ans, au citoyen et à la société civile [1]. C’est pourtant ce contrôle des procédures électorales qui, intrinsèquement, fonde le caractère démocratique d’un scrutin.
Cette confiscation du contrôle de l’étape la plus cruciale (la comptabilisation des voix) par des techniciens ouvre de facto la voie à toutes les suspicions d’altération des données exprimées par les électeurs. Particulièrement cette année.
Poursuivre l’obstination technocratique ?
A l’instar de 2000, 2003, 2004, 2006, 2009 et 2012, le bug 2014 est un problème de logiciel, le « matériel », tout obsolète qu’il soit pour le système à « carte magnétique », n’est pas en cause.
S’agissant à chaque fois d’erreurs de programmation, penser que l’on va résoudre les problèmes en acquérant des machines de dernière génération est une illusion mentalement confortable mais dénuée de tout fondement.
Le « nouveau » système, avec preuve papier, outre qu’il soit un leurre démocratique, est tout autant susceptible de pâtir de failles, d’incongruités informatiques, perceptibles ou non. L’expérimentation d’octobre 2012 l’a prouvé à l’envi. Et les déclarations sans ambages d’Hendrik Bogaert [2], Secrétaire d’Etat à la Modernisation des Services publics, le jour du scrutin, sont particulièrement significatives.
Financièrement insupportable
Devant le bug 2014, d’aucuns épinglent un éventuel laxisme francophone soutendu par une frilosité moderniste et des choix budgétaires rétrogrades. Il n’en est rien ! Promouvoir, à ce jour, une fuite en avant technologique est financièrement suicidaire tant pour les régions que pour les communes, nonobstant une éventuelle participation fédérale (en 2012, 20% dans le financement de l’équipement, qui a quasi exclusivement bénéficié à la Flandre).
En 2014, il y eut 717 bureaux de vote à Bruxelles dans lesquels on peut considérer 5 isoloirs, en moyenne, soit, si l’on voulait irrationnellement généraliser le système avec ticket, plus de 3.500 nouvelles machines à voter munies d’imprimante, sans compter les urnes/scanner (et l’urne/scanner de contrôle par bureau) et l’ordinateur du Président. En Wallonie, il s’agirait d’équiper quelque 3.884 bureaux de vote ! Insoutenable !
Pour un véritable renforcement démocratique
L’expérimentation informatique, totale à Bruxelles, très partielle en Wallonie (39 communes) n’est pas satisfaisante. Ce 25 mai, de nouvelles erreurs de programmation ont privé des électeurs de leur droit de vote. Les principes démocratiques ont dû se plier à la technique. Après plus de 20 ans de tâtonnements dispendieux, il faut avoir le courage politique de reconnaître l’échec.
Les seuls impacts réel de cette expérimentation sont donc de réduire le nombre de citoyens à convoquer pour les opérations électorales, et de priver le citoyen du contrôle du fondement même du scrutin démocratique. In fine, l’éloigner du processus et le déresponsabiliser en réduisant son rôle à compter des cartes magnétiques... Est-ce positif ?
Les expressions des ténors politiques sont, depuis ce 25 mai, concordantes. Le seul moyen, aujourd’hui, de rendre au citoyen le plein contrôle des procédures électorales est de cesser cette expérimentation technocratique, comme l’a fait la quasi totalité des Etats européens, et d’en revenir au vote papier, le seul système fiable permettant, aujourd’hui, en cas de doute, de retourner à l’expression claire de chaque citoyen.
Mais ce faisant, la vigilance doit perdurer. Un logiciel d’assistance au dépouillement des bulletins papier a surgi lors des élections communales en octobre 2012. Loué le temps de l’élection à certaines communes, en dehors de tout contrôle de l’autorité compétente pour ces élections, ce système développé par la même firme responsable du bug du mai (et « certifié » par le même organisme qui a « certifié » le programme défaillant de 2014) ne respecte pas la législation électorale en vigueur.
En 2012, la Région wallonne a négligé d’encadrer législativement ce système et de garantir le respect des principes démocratiques. Ce faisant, elle a fragilisé, voire frappé d’illégalité, la nomination de 49 bourgmestres [3]. En 2014, le SPF Intérieur a contourné le code électoral fédéral en permettant, par simple instruction, à déroger aux articles 156 et 159 dernier [4].
PourEVA attire l’attention des négociateurs qu’il ne suffit pas, à l’instar de 2009, d’inscrire une volonté politique dans leurs déclarations de politique régionale. Encore faut-il se donner les moyens de la faire appliquer sur le terrain. Il est de la responsabilité politique des acteurs régionaux de rendre les prochains scrutins conformes aux préceptes démocratiques de transparence et de contrôle citoyen. Et d’en débuter immédiatement la mise en œuvre.
En ces temps de transferts de compétences, les futures autorités régionales se doivent de garantir tant l’effectivité des principes démocratiques que l’application réelle, a contrario de ce qui s’est passé ce 25 mai, que chaque voix compte ! Il en va de la confiance accordée par tout un chacun à notre système démocratique.
PourEVA est disponible pour vous apporter de plus amples précisions sur chacun des points présentés dans cette lettre ouverte.
[1] Des associations comme PourEVA pourraient, par exemple, être autorisées à observer le déroulement des opérations électorales et introduire des remarques ou revendications par le biais des procès-verbaux ou de rapport. Pour l’instant, c’est une prérogative exclusive des partis politiques.
[2] "Les élections sont la pierre d’angle de notre démocratie, mais j’ai l’impression qu’un jour ou l’autre, un problème sérieux va se produire", a expliqué Hendrik Bogaert à l’Agence Belga, faisant notamment référence à des problèmes avec des clés USB à Bruges. "Les économies réalisées ne pèsent pas lourd, selon moi, face aux risques." Voir http://www.poureva.be/spip.php?article749
[4] Bien que souvent juristes ou avocats, les présidents de bureau de dépouillement utilisant le système DEPASS de Dépouillement Assisté par ordinateur seront confrontés à un dilemme entre respecter la loi électorale dans son intégralité ou suivre les instructions du président du bureau principal de canton. (...)
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