25/05/2015: Bug informatique, failles démocratiques
Carte blanche proposée à l’occasion du 1er anniversaire du "Bug du 25 mai 2014"
Il y a un an, le processus électoral a tourné au fiasco. Enfin, le dépouillement du scrutin. Enfin, là où le citoyen lambda a été rendu incapable de contrôler le bon déroulement des opérations électorales, là où la clarté de l’expression du choix du citoyen a été aveuglément confiée à la machine plutôt qu’à l’être humain.
Rappelons-nous. Dès la fermeture des bureaux où le vote se fait au moyen de machines, de premiers problèmes se posent. A Schaerbeek, des systèmes se bloquent, impossible de « lire et comptabiliser » les votes enregistrés sur les cartes magnétiques. A 17h05, la RTBF annonce que le site du ministère de l’Intérieur publie le résultat du dépouillement d’un bureau (sur 1651) pour le Parlement wallon : Parti Pirate : 100% des voix ! Cela bloque à Liège, Ixelles, Eupen… Le SPF Intérieur bloque immédiatement la communication des « résultats ». La soirée électorale est plombée !
Pendant plus de 72 heures, des informaticiens d’une firme privée vont manipuler, hors de toute procédure, et donc hors de tout contrôle, les votes des électeurs. Des fichiers informatiques contenant les votes exprimés vont voyager ; des ordinateurs de vote seront déménagés pour être analysés ; des techniciens informatiques de la « firme mère » vont intervenir ; des informations fausses, minimisant ou détournant les « problèmes », vont circuler…
Au bout d’une semaine folle, des résultats seront considérés comme « justes » et validés. Mais pour y arriver, il aura fallu que des fonctionnaires et techniciens informatiques suggèrent aux magistrats présidents de bureaux de canton de déclarer nuls plus de 2250 votes correctement exprimés mais incorrectement enregistrés par un programme informatique mal écrit.
Comble suprême, le contrôle a posteriori effectué par le Collège d’Experts (qui dans chacun de ses rapports antérieurs déplore pourtant la carence de ses moyens pour effectuer correctement sa mission) atteste que les résultats que les magistrats présidents des bureaux ont été contraints de valider sont inexacts. Bien plus de votes qu’annoncés ont été impactés. Et à au moins deux endroits, les « résultats » auraient pu être différents ! et potentiellement engendrer une autre majorité en Communauté germanophone…
Après la pantalonnade de l’auto-validation des élections par les nouveaux mandataires « élus », auto-validation décriée depuis de nombreuses années, les nouvelles majorités régionales et fédérale se sont installées. Les déclarations de politiques régionales wallonne et bruxelloise intègrent la problématique du vote électronique, en le condamnant en Wallonie (« Le Gouvernement entend : (…) supprimer le vote électronique – p93 ») et en bottant en touche à Bruxelles (« Enfin, le Gouvernement veillera à ce qu’une étude approfondie sur le changement de système de vote (électronique nouvelle formule ou vote papier) soit entreprise. – p63 »).
Depuis un an, le monde politique a-t-il œuvré pour éviter que la prochaine échéance électorale ne ressemble à ce 25 mai 2014 ? Apparemment non !
La prochaine échéance électorale (sauf chute impromptue du gouvernement fédéral) sera communale en 2018. L’autorité compétente pour l’organisation de ces élections est de niveau régionale. Si des propositions de résolutions, d’ordonnance ou de décret ont été introduites dans les deux parlements régionaux à l’initiative des groupes Ecolo en décembre et janvier dernier, rien ne semblait avancer.
Aussi, depuis le 17 mars dernier, l’association de citoyens PourEVA a contacté les mandataires communaux de chacune des 56 communes wallonnes et bruxelloises victimes du « bug » de mai 2014. Ce courrier envoyé par mail fut confié pour distribution aux secrétaires communaux (à Bruxelles) et aux Directeurs généraux (en Wallonie). Il fut envoyé, en allemand, aux 9 communes germanophones le 3 avril. Force est malheureusement de constater que sur ces 56 communes contactées, seules 8 se sont données la peine de réagir : du simple accusé de réception à la communication à chaque conseiller communal en passant par une communication au Collège ou au refus de distribution (mais en renvoyant toutefois vers une liste de contacts plus directs).
Il est atterrant de constater qu’une commune sur 7 dédaigne de même simplement accuser réception d’un courrier qui leur est adressé ! Est-ce à cette aune que nous devons juger de la qualité et de la vitalité démocratique de notre système représentatif ?
L’objet du courrier ? : attirer l’attention des conseillers communaux sur l’urgence de prendre position sur la question du système de vote que les autorités imposent aux citoyens pour exprimer leur volonté politique de représentation. Ce système doit être simple, accessible, fiable, contrôlable et respecter les principes démocratiques d’universalité et de secret du vote. Et, pour bien faire, le système utilisé ne doit pas être hors de prix.
Comme en attestent les problèmes détectés à Jurbise (2000), Schaerbeek (2003), Liège (2006), Woluwe-Saint-Pierre (2012) et bien évidemment généralisé en 2014, l’expérimentation électronique menée depuis plus de 20 ans en Belgique n’est en aucune façon concluante quel que soit le système automatisé utilisé. Et que dire des problèmes non-détectés…
Le seul véritable résultat indéniable obtenu est d’avoir diminué le nombre de citoyens consacrant une partie de leur dimanche électoral à l’acte fondamental d’une démocratie représentative : la désignation de ses mandataires. Est-ce une avancée démocratique ? Éloigner le citoyen du processus et des procédures électorales n’est, à nos yeux, pas un moyen de réduire le fameux "fossé" machinalement décrié à l’approche de chaque scrutin.
Et que dire de la dimension financière ? Le silence assourdissant des communes wallonnes serait-il lié aux recours introduits au Conseil d’Etat visant à éviter d’assumer le surcoût “électronique” réclamé par le gouvernement wallon à celles ayant choisi de maintenir le système électronique en 2012, à l’encontre de sa volonté ? Il est vrai qu’un coût près de 13 fois supérieur n’est pas anodin. Ce refus d’assumer le coût-vérité confine à faire porter sur l’entièreté des communes wallonnes l’obstination technocratique de quelques unes.
Le "bug du 25 mai" a gravement entamé la confiance du citoyen dans le système électoral. Dans quel état d’esprit ira-t-il dorénavant exprimer son choix alors qu’il sait maintenant pertinemment bien que sa voix pourrait être annulée (par des techniciens ?) en raison d’une simple erreur d’écriture dans un programme informatique ?
Une expansion du système “avec preuve papier” n’offre aucune garantie supplémentaire. Ce leurre “démocratique”, déjà obsolète, n’est en aucune façon à l’abri d’erreur de programmation comme l’a démontré le scrutin de 2012.
En outre, à l’heure de l’annonce de sacrifices importants imposés aux citoyens (réductions voire abandons de services ou de prestations), aucun niveau de pouvoir n’a les moyens de gaspiller les contributions des citoyens pour équiper plus d’un millier de bureaux de vote (que ce soit en location ou acquisition) avec des machines qu’aucun citoyen (électeur, assesseur, Président de Bureau ou de Canton) n’est en mesure de vérifier.
L’apparente apathie politique actuelle pourrait traduire à la fois la crainte de prendre une décision ou la volonté d’en faire porter la responsabilité par un niveau de pouvoir politique supérieur (la Région, le Fédéral). Certains, et non des moindres (Ministre, Bourgmestre, Echevins…), nous l’ont explicitement exprimé.
Il est temps, à l’instar des Pays-Bas, de l’Allemagne, de l’Irlande…, d’abandonner ces chimères technologiques et de rendre aux citoyens la faculté de pouvoir contrôler les procédures de désignation de leurs représentants. Le problème n’est pas que les candidats tardent à connaître leur résultat. Il est que l’électeur ait la garantie que son bulletin soit correctement pris en compte. Il en va du fondement même de notre démocratie.