30/05/2016: Le vote papier est-il possible à Bruxelles ?
"Il y a tant de listes et de candidats à Bruxelles qu’il ne serait pas physiquement possible de voter papier." Info ou intox ?
Lorsqu’au Parlement bruxellois, on évoque le retour éventuel du vote papier à Bruxelles (comme ce sera le cas lors des prochaines élections en Wallonie), il y a toujours quelqu’un pour soulever l’impossibilité de confectionner un bulletin de vote papier étant donné le nombre élevé de listes, de candidats et de suppléants. Passons en revue ces objections, et voyons si elles rendent effectivement le vote papier impraticable en région bruxelloise.
La taille des bulletins
Un argument des plus étranges pour continuer dans une nouvelle expérimentation de vote électronique, cette fois avec "preuve" papier, est qu’il serait impossible de revenir au vote traditionnel.
Nombreux sont les responsables politiques qui s’inquiètent de voir la taille hypothétique du bulletin de vote pour l’élection régionale bruxelloise, tel qu’il est présenté par le Ministère de l’Intérieur. Ce bulletin, bien que décrit dans la loi, n’a jamais été utilisé car le vote électronique avait déjà été imposé à l’ensemble de la population bruxelloise lorsque les premières élections régionales ont été organisées. On peut se demander comment un tel système de vote, avec tant de candidats (effectifs et suppléants) et tant de partis et élections simultanées a pu être imaginé si ce n’est pour imposer le vote électronique.
Les élections communales
Avant de s’attaquer aux élections régionales qui sont de la responsabilité du Fédéral, regardons si pour la seule élection de la responsabilité de la Région, les élections communales, le vote papier est possible.
Parmi les grandes communes de Belgique, avec donc de nombreux candidats et qui utilisent le vote papier, on trouve Gand et Charleroi qui ont une plus grande population et donc un plus grand nombre de candidats par liste que les plus grandes des communes de la Région de Bruxelles-Capitale que sont Bruxelles-ville, Schaerbeek et Anderlecht. Il est à noter que selon toute vraisemblance Liège passera également au vote papier pour les élections communales de 2018.
Sources :
On peut donc penser qu’il est possible d’organiser les élections communales en vote papier pour les communes Bruxelloises.
Les élections fédérales
La région Bruxelles-Capitale étant bilingue, l’électeur peut voter aussi bien pour des partis francophones que néerlandophones. D’une certaine façon, ceci double potentiellement la taille des bulletins de vote pour les élections fédérales et européennes.
Le bulletin de vote pour la Chambre des Représentants pour la circonscription de Bruxelles-Capitale n’est pas si grand que cela. Il y a 15 candidats effectifs et 9 candidats suppléants. Ce n’est que sur la largeur qu’en fonction du nombre de listes, francophones et néerlandophones, le bulletin peut s’allonger avec par exemple en 2014 22 listes en compétition.
Ce bulletin de vote papier existe, il a été utilisé par les Belges de l’étranger et il a été dépouillé sans que l’on ait entendu parler de problèmes. Il est même possible d’insérer ce bulletin dans une enveloppe, il ne doit donc pas être gigantesque.
En fait, on peut dire que le bulletin est deux fois plus petit que celui utilisé dans le canton de Rhode-Saint-Genèse qui, avec son statut spécial et bilingue, pratique le vote papier en pouvant choisir de voter comme dans le Brabant flamand ou comme à Bruxelles.
Les élections européennes
Pour les élections européennes, le bulletin de vote que l’on devrait utiliser en région de Bruxelles-Capitale est exactement celui utilisé dans le canton de Rhode-Saint-Genèse, c’est-à-dire un bulletin où l’on peut choisir entre le collège électoral francophone ou néerlandophone.
Les élections régionales
Toute choses étant égales par ailleurs, le bulletin de vote pour les élections régionales peut être grand.
La loi prévoit exactement à quoi il doit ressembler. Il a deux orientations, l’une francophone avec les candidats effectifs et suppléants des listes francophones, l’autre néerlandophone avec les listes néerlandophones. On parle de bulletin tête-bêche. Il est a noté que les électeurs choisissant un parti néerlandophone peuvent également voter, sur le même bulletin pour les 6 représentants Bruxellois au Parlement Flamand.
Avec un tel bulletin, s’il doit être utilisé tel quel, il convient de bien réfléchir à la méthode de pliage. Certaines méthodes, telles qu’utilisées pour les cartes géographiques, permettent que toutes les partis soient également accessibles, et lorsque l’orientation et le parti sont choisis, la liste des candidats peut être entièrement visible.
Le diable est dans les détails
Là où les bulletins de vote sont grands, cela pose parfois des problèmes aux électeurs. Mais au-delà de la taille du bulletin, c’est la taille de l’isoloir et la longueur de la chaine qui retient le crayon rouge qui sont la plus grande cause de problèmes. Ces dimensions sont inscrites dans la loi, mais la loi peut être modifiée.
Le dépouillement ne pose pas de problème particulier, on utilise des classes d’écoles et un bulletin tient déplié sur deux bancs adossés.
D’autres formes de bulletin
Il existe d’autres solutions que le bulletin de vote unique. En France, on vote en insérant le bulletin d’un parti dans une enveloppe. Les électeurs se servent dans le bureau de plusieurs bulletins de vote, dont celui de la liste pour laquelle ils veulent voter. Ensuite, dans l’isoloir, ils insèrent dans une enveloppe le bulletin du parti pour lequel ils veulent voter.
Pour la Belgique, les électeurs devraient en plus sélectionner leurs votes de préférence.
Au dépouillement, une enveloppe vide est un vote blanc, une enveloppe contenant plusieurs bulletins est un vote nul. Les enveloppes ne contenant qu’un bulletin d’un seul parti et sans signe de reconnaissance sont des votes valables.
Ce système semble facilement adaptable à la région de Bruxelles-Capitale.
D’autres pays pratiquent le carnet de vote, chaque feuillet représentant un parti.
Pourquoi tant de candidats, de partis et d’élections ?
La vraie question est peut-être de savoir pourquoi en région de Bruxelles-Capitale, comme une fatalité, on a tant de candidats effectifs, tant de candidats suppléants et tant de partis.
On peut déjà facilement supprimer les candidats suppléants et procéder comme dans les élections communales, ceci devrait réduire la longueur du bulletin de vote.
D’autres options existent comme de diviser, au moins pour les francophones, la région en plusieurs circonscriptions. Ceci peut être fait tout en respectant la représentation des néerlandophones à Bruxelles. Cela se fait à l’échelle d’un pays, ou d’une région. C’est aussi ce que la Flandre pratique pour Anvers avec les élections de district.
Mais pour chercher des solutions plus praticables en vote papier, il faut commencer par admettre qu’il y a des problèmes avec le vote électronique.
Autres arguments
La taille du bulletin papier n’est qu’un des arguments utilisés pour rejeter le vote papier, voici une série d’autres arguments souvent cités :
- Il faudra racheter des urnes et des isoloirs. Oui, c’est une évidence, de la même façon que pour le nouveau système de vote électronique, il faudra sans doute également acheter des isoloirs compatibles... mais surtout, il faudra acheter (ou louer) ces ordinateurs de vote.
- Il faudra réapprendre le dépouillement papier. Comme en Wallonie, et comme pour le passage d’un système de vote électronique à un autre système de vote électronique, il faut réapprendre des choses. L’avantage du vote papier est qu’il est simple à comprendre et ne nécessite aucune connaissance particulière.
- Nous n’avons pas assez de locaux, pour organiser les bureaux de dépouillement. On peut se demander comment font les autres communes qui votent papier, n’y a-t-il pas assez d’écoles, de salles de sport, de salles de fête ou autres bâtiments publics pour accueillir les électeurs et les assesseurs ? Y a-t-il quelque chose de particulier à Bruxelles qui rendrait le problème plus difficile qu’ailleurs ? Il se trouve que les bureaux de votes ne sont plus utilisés lorsque commence le dépouillement et qu’il y a 3 fois plus de bureaux de vote que de bureaux de dépouillement. Ces locaux existent et permettent d’éviter de déplacer les urnes pour un bureau sur trois.
- Il est impossible de trouver suffisamment d’assesseurs. Être assesseur, c’est un devoir, on peut élargir la base (plus jeune) comme en Wallonie. Même si le vote papier nécessite plus d’assesseurs, ils travaillent moins longtemps car les bureaux de vote ferment plus tôt en vote papier, le dépouillement commence dès que ceux-ci ferment.
- Avec le vote papier il y a beaucoup de vote nuls. Avec le vote papier, il est facile d’exprimer un vote nul, alors qu’avec le vote électronique c’est rendu pratiquement impossible. Mais cela ne veut pas dire que les électeurs votant nul ne l’ont pas fait en connaissance de cause. Si l’on a peur des votes nuls par méconnaissance des règles (par exemple le vote panaché), il suffit d’éduquer les électeurs. De toute manière, à chaque élection il y a quantité de jeunes nouveaux électeurs qu’il faut former aux élections.
Conclusions
Le vote électronique en Belgique est également l’histoire d’un désinvestissement dans le vote papier.
Alors que le vote papier est le résultat d’une évolution d’une centaine d’années, la Belgique a oublié de continuer à l’améliorer en misant tout dans une couteuse fuite en avant vers la "modernité".
On en arrive même à oublier les avantages irremplaçables du vote papier où tout le monde :
- sait comment voter (même les illettrés peuvent s’entrainer)
- peut participer au contrôle citoyen
- comprend comment cela fonctionne
- peut détecter une tentative de fraude
Le suffrage universel doit être accessible à tous, c’est ce qu’apporte le vote papier.