24/12/2019: Élections du 26 mai 2019 : analyse du rapport du collège des experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés
Ce rapport concerne l’élection de la Chambre des représentants, des Parlements de Région et de Communauté et des représentants belges aux Parlement européen. Il est joint au présent article.
N.B. : la numérotation à laquelle renvoie la présente analyse est celle du rapport du collège des experts
Remarques préalables
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La mission du Collège des experts a été étendue aux cantons qui utilisent le vote « traditionnel » pour ce qui concerne l’utilisation de systèmes informatiques. Ceci n’est pas un détail car le système informatisé « Martine » qui collecte, transmet et totalise les votes a concerné aussi bien les cantons où l’on votait « papier » que ceux où le vote électronique était en vigueur.
Ce rapport, très technique, semble en grande partie avoir été rédigé par des informaticiens, pour des informaticiens. On peut se demander si la grande majorité des parlementaires, qui sont censés prendre connaissance de son contenu avant de valider les élections, sont en mesure d’en comprendre les enjeux. A la lecture de la recommandation #2019-BE.15, qui ne manque pas d’ironie (« Le Collège recommande que ses recommandations soient systématiquement lues, tout particulièrement la #2019-BE.15 » ! ), on peut avoir de sérieux doutes à ce sujet. Mais comme il s’agit pour les élus de valider leur propre élection (ils sont donc juges et parties, anomalie belge condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme !), on voit mal ce qui pourrait les inciter à contester la validité de celle-ci !!
Voici tout de même la synthèse et l’analyse de ce rapport que PourEVA a tenu à faire. Il révèle, comme les rapports précédents, de nombreux dysfonctionnements…
AVANT LE JOUR DES ÉLECTIONS
Composition du collège :
Collège permanent : 6 effectifs et 6 suppléants, désignés par la Chambre des représentants, le Parlement flamand, le Parlement bruxellois et le Parlement de la Communauté germanophone.
A celui-ci a été ajouté un collège non permanent de dix membres, désignés par les mêmes assemblées, spécifiquement pour les élections du 26 mai.
A noter : le Parlement wallon n’a désigné aucun expert permanent alors que la Région wallonne était concernée, comme les autres régions, par le système « Martine » et que le contrôle de ce système faisait partie de la mission du collège des experts ( 2.3 : « Le rôle du collège des experts est étendu à tout logiciel utilisé dans le cadre des élections, même lorsque le vote ne se déroule pas électroniquement »). Toutefois, comme les autres parlements, Il a désigné deux experts non permanents.
Missions : le contrôle de tous les systèmes informatisés concernés par les élections. Les contrôles commencent 40 jours avant l’élection et peuvent durer jusqu’à la remise du rapport aux parlements et au SPF Intérieur (au plus tard 15 jours après les élections). Ce rapport doit parvenir à ces institutions avant la validation des élections (1.4). Celui-ci est daté du 13 juin 2019.
Les experts sont tenus au secret (1.5). On se demande pourquoi.
Modifications du matériel par rapport aux élections de 2014 (2.1)
Ajout d’un système d’obturation automatique de la fente de l’urne (qui n’a pas toujours fonctionné) (cf. point 4.2.2.1.1)
À Alost et à Malines, des machines de votes ont été adaptées pour les aveugles et malvoyants.
Deux versions -peu différentes - de la machine à voter sont utilisées : celle de 2012 et celle de 2018 (3.2.1.2).
POSSIBILITÉ DE SCANNER LE QR-CODE DE SA « PREUVE PAPIER »
Le rapport mentionne la possibilité pour l’électeur de scanner le QR-code de sa « preuve papier » au moyen d’un scanner à main (3.2.2.2) mais ne mentionne pas que cette possibilité, au contraire de ce qui s’est passé pour les élections communales à Bruxelles, n’a pas été renseignée dans la vidéo explicative mise en ligne par le SPF Intérieur. Les électeurs n’ont donc pas été incités à utiliser cette possibilité. Cela a aussi été le cas dans tous les bureaux de vote pour lesquels nous avons pu réunir des témoignages d’électeurs : aucun d’entre eux n’a été informé de cette possibilité par le président ou un assesseur de leur bureau de vote. Le rapport indique d’ailleurs que, lors de la formation des présidents de bureaux de vote (voir plus loin), il a parfois été conseillé (notamment à Bruxelles) « de ne pas faire de publicité pour le scanner à main permettant de contrôler son vote » (4.1.7.2) !
Notons cependant une différence en la matière entre la Flandre d’une part, Bruxelles et la Région de langue allemande d’autre part : lors des tests qu’il a effectués avant le jour des élections, « le Collège à découvert une discordance dans les versions linguistiques du logiciel de la machine à voter. (…) dans les versions française et allemande apparaît en fin de vote un message invitant l’électeur à vérifier son vote à l’aide d’un scanner à main prévu à cet effet dans un isoloir séparé. Dans la version néerlandaise, ce message n’apparaît pas. » Cela n’a pas été corrigé. Explication donnée par le Collège de cette discordance : elle proviendrait de ce qui avait été décidé en Flandre pour les élections d’octobre 2018, à savoir que « le pouvoir organisateur en Flandre ne souhaitait pas voir cette mention invitant le citoyen à un contrôle supplémentaire » (4.1.1.8) !!
Génération de la « clé master » pour les élections : fin avril, « plus d’une centaine de corrections ont encore été demandées par les présidents des bureaux principaux pour corriger des erreurs qu’ils auraient dû détecter bien avant » (4.1.1.6).
Le Collège a relevé un manque de collaboration entre SmartMatic et Civadis (développeur de « Martine », le système de collecte, de transmission et de totalisation des résultats, tant « papier » qu’électronique) (4.1.3).
Le Collège « constate qu’il a parfois été difficile d’obtenir des réponses aux questions posées à la société SmartMatic » (4.1.4).
« Le Collège d’experts constate que le CCB [Centre pour la Cybersécurité Belgique] a identifié des vulnérabilités qui auraient pu être identifiées et corrigées par les entreprises avant la mise en production. » (4.1.5.2)
Le Collège des experts n’a pas pu assister à la formation des formateurs des présidents des bureaux de vote. Ces formateurs sont des membres du personnel communal (4.1.7.1).
Remarques concernant les formations des présidents des bureaux de vote (4.1.7.2) :
La partie clôture du bureau n’a pas toujours été bien expliquée. Conséquence : « beaucoup de bureaux de vote ont eu de grandes difficultés pour remplir les formulaires ».
Dans plusieurs communes , « il a clairement été dit (et répété) que si à 7h30, le bureau n’est pas constitué, il faut lancer les PC quand même, ce qui est contraire à la législation qui demande que d’attendre que le bureau soit constitué ».
À Anvers, une liste a été oubliée dans le système « Martine ». Le SPF Intérieur a corrigé cela en dernière minute « en dehors de la procédure et des dispositions légales » (4.1.8.2).
CONSTATATIONS DURANT LES OPÉRATIONS DE VOTE
Remarque générale : contrairement à ce qui s’est fait dans les rapports précédents du Collège d’experts, de nombreux incidents sont signalés sans que ni les lieux où ces incidents ont eu lieu, ni le nombre de ces incidents ne soient mentionnés. Pourquoi ? Mystère.
Le rapport pointe de nombreux cas de non-respect des instructions légales ou réglementaires :
ouverture des enveloppes des mots de passe et clés USB avant la constitution complète du bureau ;
volet protégeant les ports USB dans les machines de vote et urne non scellés ;
pas de contrôle des votes de test par le lecteur QR dans l’isoloir ;
enveloppes contenant les clés USB et les codes mises dans le local de vote ;
absence de votes de test (4.2.2.1.1).
Dans les communes germanophones, ni les instructions pour les présidents des bureaux de vote, ni les formulaires de procès-verbaux n’étaient corrects (4.2.2.1.3).
Les problèmes suivants sont mentionnés, à nouveau sans que les lieux concernés et leur nombre ne soient renseignés. Exemples (4.2.2.2.1) :
clés USB non fonctionnelles ;
problèmes au démarrage de la machine du président ;
redémarrage après clé USB en panne ;
difficultés pour sortir des clés USB de la machine de vote ;
mauvais fonctionnement de l’écran tactile d’une machine de vote ;
panne de machine de vote ;
panne de machine du président ;
panne d’imprimante ;
problèmes avec l’impression des preuves papier ;
problèmes de lecture des preuves papiers par l’urne.
Des dysfonctionnements de l’imprimante des machines à voter ont entraîné dans certains cas des doubles votes (4.2.2.3.1).
Certains bulletins ont été mis dans l’urne sans avoir été scannés (4.2.2.3.2).
PROBLÈMES MASSIFS AU MOMENT DE LA COLLECTE DES RÉSULTATS ET DE LA TOTALISATION DES VOTES (utilisation du système informatisé « Martine »)
Une majorité de PC des bureaux principaux ont connu des problèmes de connexion à « Martine » (4.2.3). De 16h à 20h10, une grande majorité des bureaux principaux (de canton) n’ont pas pu enregistrer les résultats durant cette période. Cela a retardé la publication des résultats... mais n’a pas eu d’impact sur ces résultats, d’après le rapport du collège des experts (4.2.5.1).
Des clés USB sont arrivées dans les bureaux principaux avec des enveloppes non signées, ouvertes et parfois sans enveloppe (4.2.3).
Le Collège s’en est remis au SPF Intérieur pour obtenir une analyse de ce dysfonctionnement de « Martine » (4.2.5.2.4).
CONTRÔLES EFFECTUÉS APRÈS LES ÉLECTIONS
Pour vérifier la totalisation, le Collège a demandé à récupérer toutes les clés USB. Pour trois cantons (non cités), il n’a pas obtenu ces clés (4.3.1.1). Le Collège n’a constaté aucune anomalie (4.3.1.3).
Le code source des logiciels SmartMatic a été publié sur le site du SPF Intérieur (4.4.1).
Le code source du système « Martine » n’a pas été publié (la loi ne le prévoit pas) (4.4.2).
RECOMMANDATIONS DU COLLÈGE D’EXPERTS
Remarque : beaucoup de ces très nombreuses recommandations sont très techniques. Dans le cadre de la présente analyse, nous nous contentons de relever celles qui suivent. Elles concernent les procédures :
Le Collège recommande que le contenu des clés USB soit systématiquement effacé après les élections.
Le Collège recommande « que les procédures prévoient une identification claire, nominative et précise des personnes intervenant dans les bureaux de vote et dans les bureaux principaux lors des élections, en particulier des techniciens. »
« Au vu des manquements constatés concernant le respect des procédures, le Collège d’experts recommande qu’un contrôle systématique soit effectué pour s’assurer de l’application de toutes les procédures. »
CONCLUSIONS DU COLLÈGE D’EXPERTS (6)
Le Collège n’a « pas procédé à un contrôle exhaustif des résultats de comptage et de totalisation pour le vote traditionnel, le contrôle démocratique dans les bureaux de dépouillement et dans les bureaux de cantons concernés étant assurés par les dispositions légales en vigueur ».
« Dans les limites de la mission, des moyens et du temps disponible, le Collège conclut ce qui suit :
pour les communes et cantons faisant usage du vote électronique, le collège n’a détecté aucune différence entre les résultats communiqués aux médias par le système Martine et publiés sur le site officiel des élections et la retotalisation exhaustive qu’il a faite à parti des clés USB. Le Collège en conclut par conséquent que les systèmes ont correctement récolté et totalisé les voix pour ces cantons et communes ;
pour les communes faisant usage du vote traditionnel, le Collège n’a pas eu vent de problèmes, d’erreurs ou d’incohérences dans les résultats encodés à partir des PVs des bureaux de dépouillement et des PVs de bureaux de canton. Il considère que de tels problèmes, erreurs ou incohérences peuvent être détectés par ces bureaux eux-mêmes.
Le Collège estime donc que le problème de transmission des résultats survenu le soir des élections n’a pas eu d’impact sur le résultat des celles-ci.
Par conséquent, le Collège estime que l’objectif d’émettre les votes, de les enregistrer et de les compter selon les dispositions légales, a été atteint. »
CONCLUSIONS DE POUREVA
Si, cette fois, contrairement aux élections précédentes, aucun dysfonctionnement majeur n’a été constaté par le Collège d’experts, on peut constater que comme lors de ses missions précédentes :
ses contrôles ont été très partiels ;
ceux-ci ont tout de même révélé, pour ce qui concerne le vote électronique, de nombreux dysfonctionnements et de nombreux cas de non-respect des procédures légales ;
les recommandations contenues dans ses rapports relatifs aux élections précédentes ont, dans une très large mesure, été ignorées.
Nous nous étonnons que, malgré tout ça, le Collège valide en quelque sorte les élections en estimant « que l’objectif d’émettre les votes, de les enregistrer et de les compter selon les dispositions légales, a été atteint ».
Cette fois encore, ce sont des problèmes liés à l’usage de l’informatique (le système "Martine") qui expliquent que les résultats ont été communiqués avec retard. Le système traditionnel n’est pas en cause.
Et, une fois de plus, considérant que ce n’est sans doute pas là sa mission, le Collège ne fait aucunement remarquer que les système de vote et de totalisation automatisés échappent à toute possibilité de contrôle réel des citoyens-électeurs ordinaires, fussent-ils présidents, assesseurs ou témoins de liste, que ce soit dans les bureaux de vote ou dans les bureaux principaux de canton.