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28/04/2022: Validation du résultat des élections en Belgique : Il faut modifier d’urgence la Constitution


Parmi les quarante-six États membres du Conseil de l’Europe, seuls trois d’entre eux - l’Italie, le Luxembourg et la Belgique - persistent à ce jour à maintenir la validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes, sans recours possible.

En Belgique, cela concerne non seulement le Parlement fédéral mais aussi les parlements régionaux et de communauté ainsi que les parlements provinciaux de Wallonie, en vertu de l’article 48 de la Constitution, inchangé depuis 1831, et dont l’application a, depuis, été étendue aux entités fédérées. Ces parlements ont, seuls, le pouvoir de contester le résultat d’une élection et d’ordonner éventuellement que celle-ci soit refaite. On ne s’étonnera pas que cela ne soit jamais arrivé : pourquoi les élus remettraient-ils en question leur propre élection ?
Le 10 juillet 2020, par l’arrêt « Mugemangango contre Belgique », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné l’État belge pour violation des articles 3 et 13 du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Ces articles concernent le droit à des élections libres et celui à un recours effectif. Germain Mugemangango, candidat du PTB aux élections régionales wallonnes de mai 2014, auquel il manquait 14 voix pour obtenir un siège de parlementaire dans l’arrondissement de Charleroi, s’appuyant sur l’allégation de différentes irrégularités, avait demandé un recomptage. Bien que la commission de vérification des pouvoirs du Parlement wallon avait déclaré sa demande recevable et fondée, elle lui a été refusée par les membres du même parlement réunis en assemblée plénière. Ces parlementaires validèrent donc les pouvoirs des élus de la province du Hainaut. Parmi les votants : les élus de la province du Hainaut ! [1] C’est parce qu’il n’avait aucune possibilité de recours contre cette décision en Belgique qu’il avait fait appel à la CEDH.

De l’urgence de modifier la Constitution : la preuve par le « bug » de mai 2014

Dans le cas des élections communales, des recours contre le résultat d’une élection peuvent aboutir à son annulation. Cela s’explique parce que, dans ce type d’élection, ce ne sont pas les élus qui ont à juger de la pertinence d’un recours susceptible de remettre en cause leur propre élection. C’est ainsi, par exemple, que l’élection communale (informatisée) de Jurbise d’octobre 2000 a été annulée par le Conseil d’État [2] et a dû être refaite. Il en a été de même à Neufchâteau lors des élections communales (« papier ») d’octobre 2018 à la suite de laquelle il était apparu que de fausses procurations avaient été utilisées.
En toute logique démocratique, cela aurait aussi dû être le cas à Bruxelles et dans les communes germanophones lors des élections régionales, fédérales et européennes du 25 mai 2014. Mais les nouveaux élus, seuls habilités à décider en la matière selon l’article 48 de la Constitution belge, ont refusé d’invalider l’élection qui leur a permis d’être élus.
Il s’agit d’un scandale anti-démocratique dont il vaut la peine de rappeler les détails. [3]
Dès le soir des élections, on apprend par la presse que dans trente-neuf communes wallonnes et 17 communes bruxelloises qui utilisaient le vote électronique sans preuve papier, des votes n’ont pas été comptabilisés. Les responsables du Ministère fédéral (SPF) de l’Intérieur affirment alors, sans être en mesure de le prouver, que ce problème ne concerne que les votes de préférence et n’affecte pas la répartition des sièges. Ce soir-là, avertis de cet incident, plusieurs présidents de bureaux principaux de circonscription chargés de recenser les voix, de répartir les sièges et de désigner les élus, refusent de valider le tableau de recensement des voix. Mais deux jours plus tard, sous la pression du SPF Intérieur, ils reviennent sur leur première décision et décident d’annuler les votes litigieux qui seraient à la source du bug, sans même encore en connaître le nombre (2.250) qui ne sera communiqué par le « collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés » que le 5 juin. [4]
Les présidents des bureaux principaux de circonscription sont des magistrats et non des informaticiens. Ils sont donc forcément dépendants des firmes privées ayant fourni le matériel informatique utilisé pour les opérations électorales et du SPF Intérieur, qui n’offrent aucune garantie d’indépendance et d’impartialité : le Ministre de l’Intérieur appartient à une formation politique participant aux élections, son administration est sous son autorité et les firmes privées ont, quant à elles, un intérêt financier à minimiser les problèmes dont elles sont responsables.
Dans le rapport du collège d’experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés, publié le 19 juin, il apparaît que, pour le SPF Intérieur et pour les firmes privées, ce qui importait n’était pas le respect de la légalité mais le déblocage rapide de la situation : « Lors de la découverte du bug après le scrutin, le Collège a constaté que la sécurité et les procédures étaient moins prioritaires qu’une résolution rapide du problème, ce qui entraina un travail précipité et de nouvelles erreurs. ». [5] La « résolution » du bug a elle-même entraîné son lot de bugs : le logiciel de décryptage a lui-même « buggé » [6], l’évaluation a donné lieu à une « erreur d’encodage manuel » [7], « les nombres de votes à annuler ont été mélangés » [8], le logiciel utilisé a « donné des résultats différents » [9], le nombre d’urnes corrompues ou manquantes a évolué de 27 à 57 [10].
Contrairement aux magistrats exerçant la fonction de président d’un bureau principal de circonscription, les parlementaires auxquels incombaient la validation des opérations électorales et la vérification de leurs propres pouvoirs disposaient du rapport du collège des experts au moment de devoir prendre leur décision. Ils savaient donc combien de bulletins de vote n’avaient pas été pris en compte dans la totalisation et l’éventuel impact qu’aurait pu avoir le « bug » sur la répartition des sièges. Selon le Conseil d’État et conformément aux standards internationaux, une irrégularité qui pourrait aboutir à une modification de la répartition des sièges doit entraîner l’annulation de l’élection. Or, dans le cas qui nous occupe, le collège des experts avait établi que c’était bien le cas dans deux assemblées : le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement régional bruxellois. Dans le premier, un siège aurait pu être attribué à un autre parti ; dans le second c’est la répartition des sièges entre des candidats d’une même liste qui aurait pu être différente.
Malgré cela, dès le 10 juin, le Parlement bruxellois valide l’élection par 52 voix pour, 9 contre et 28 abstentions, malgré neuf réclamations introduites devant lui. Et, en sa séance du 26 juin, le Parlement de la Communauté germanophone fait de même par 14 voix contre 11.

Les articles 48 et 142 doivent être ouverts à révision

L’arrêt du 20 juillet 2020 de la CEDH oblige l’État belge à agir pour qu’une procédure de recours compatible avec la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales puisse être élaborée. L’article 48 de la Constitution belge qui stipule que « Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet » doit donc être modifié. Dans le même but, plusieurs juristes et parlementaires qui se sont penchés sur la question s’accordent pour estimer qu’il serait également opportun d’offrir la possibilité de modifier l’article 142 qui concerne les compétences de la Cour constitutionnelle car cette institution pourrait devenir l’instance devant laquelle un recours contre le résultat d’une élection pourrait être introduit.
Conformément à l’article 195 de la Constitution belge, ces deux articles doivent donc être déclarés révisables par le gouvernement et le Parlement fédéral actuels pour permettre au Parlement fédéral qui sera issu des prochaines élections, prévues pour 2024, de modifier enfin la Constitution de manière à rendre possible une réforme des procédures légales de recours contre les résultats d’une élection.
Tant que cela n’aura pas été fait et donc lors des prochaines élections, l’État belge s’expose à d’autres condamnations pour violation des articles 3 et 13 du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Il est à noter que, pour ce qui concerne les entités fédérées, ces modifications de la Constitution ne sont pas indispensables car c’est par une loi spéciale que la règle figurant dans l’article 48 de la Constitution a été étendue aux parlements régionaux et par une loi ordinaire qu’elle l’a été au Parlement de la Communauté germanophone. [11] Les parlements concernés actuels pourraient donc modifier ces lois avant les élections de 2024. Il suffirait que la volonté politique de le faire y soit.


[1T.GAUDIN, "Le contrôle de l’élection directe", in Administration publique, revue du droit public et des sciences administratives, octobre 2020 (numéro spécial consacré à la publication des actes du colloque "Qui contrôle l’élection ?" tenu à Mons le 26 avril 2019), p.115.

[2À noter : dans son arrêt du 2 mars 2001 annulant l’élection communale de Jurbise, le Conseil d’État s’inquiétait de la grande dépendance de l’État aux firmes privées : une vérification de la totalisation n’est pas possible sans le logiciel d’une firme privée.

[3Les informations qui suivent proviennent principalement de "Le vote électronique : l’impossible contrôle ?", texte d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, Professeure à l’École de droit de l’U-MONS, paru en octobre 2020 dans Administration publique..., op. cit. p. 115.

[4Il a finalement été établi que le "bug" concernait les votes d’électeurs qui, en toute légalité, avaient modifié leur vote avant de le confirmer (A.-E. BOURGAUX, op. cit., p. 141).

[5Rapport du collège d’experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés. Élections simultanées du 25 mai 2014, 5.12.

[6Ibid., 5.7.1.

[7Ibid., 5.5.

[8Ibid., 5.6.3.

[9Ibid., 5.8.2.

[10Ibid, 5.8.4.

[11T. GAUDIN, op. cit., p. 117.